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par une autorité équitable et ferme ; mais quand c’est tout le contraire, quand le pouvoir est injuste et fanatique, quand, pour exécuter ses ordres, il n’a que des satellites fanatiques et indisciplinés, alors le désarmement devient une véritable trahison. Il faut dans ce monde être protégé par la loi ou par la force. Ces deux principes se sont partagé le monde : en Europe, c’est la loi qui protège, la loi équitable et forte ; en Orient, point de loi : la force seule peut protéger l’individu. Je sais bien que la Turquie a eu sa fameuse charte de Gulhané ; mais aux portes même de Constantinople, et à plus forte raison en Syrie, une bonne paire de pistolets est une protection plus sûre et plus efficace que la charte de Gulhané. C’est cette protection que le désarmement ôte aux catholiques du Liban. En Europe, le désarmement est une mesure pacificatrice ; en Orient, le désarmement est la manière de livrer le faible aux outrages du fort.

Voilà comment les espérances de la diplomatie française ont été déçues, voilà comment les engagemens pris par M. Guizot sont devenus illusoires. Quel est le moyen de faire respecter en Syrie le nom et la protection de la France, ou plutôt l’humanité ? Le capitaine d’une frégate sur les côtes de Syrie a montré de quelle manière il fallait s’y prendre pour obtenir justice. Un drogman français avait été arrêté près de Beyrouth, maltraité par les soldats turcs et retenu captif. Le capitaine français, sans faire de protocoles, envoya à terre son lieutenant avec quelques matelots et quelques soldats, qui délivrèrent le drogman des mains des Turcs. Ce coup de hardiesse a fait plus pour relever l’autorité et le crédit de la France en Syrie que vingt notes diplomatiques.

Au mois de juillet dernier, un comité s’était formé en France pour secourir les chrétiens du Liban. Nous espérons que ce comité ne cessera de presser le gouvernement de venir en aide à nos frères chrétiens d’Orient. La tribune des deux chambres le secondera dans ce pieux office.

Les affaires de Syrie ne sont pas la seule réticence du discours de la couronne, réticence excusable, puisque aucun acte diplomatique n’est intervenu dans les affaires de Syrie, et surtout réticence concevable, puisque toutes les espérances de la diplomatie française ont été cruellement déçues dans cette occasion.

Le discours de la couronne ne dit rien non plus de l’expédition qu’on paraît vouloir faire contre Madagascar. Nous ne contestons pas l’opportunité de cette expédition, après le mauvais succès du coup de main que nous avons fait récemment de concert avec les Anglais ; mais il faut que ce soit une expédition, et non une conquête. Cette expédition, du reste, a ses difficultés politiques. La ferons-nous de concert avec les Anglais ? devons-nous, même à Madagascar, adopter l’entente cordiale ? Nous n’avons pas grand goût, nous l’avouons franchement, pour ces coopérations perpétuelles ; nous pensons qu’il est bon que la France, hors de l’Europe et dans ses rapports avec les peuples de l’Afrique et de l’Amérique, agisse seule et ne prenne conseil que de ses intérêts et de ses droits.