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ne pas l’exagérer et de ne pas se jeter dans des coopérations qui peuvent aisément devenir des collisions. Laissez les sentimens et les intérêts des deux peuples se rapprocher et s’unir chaque jour davantage par les voies naturelles de la civilisation et du commerce ; mais ne visez pas à une communauté d’action politique ou à un concert d’expédition soit à Madagascar, soit en Amérique pour le Texas et pour l’Orégon ; car là, la coopération que vous acceptez peut devenir ou peut paraître une dépendance. Songez combien cette coordination que vous voulez établir sur tous les points entre la politique des deux pays gêne notre action et affaiblit notre ascendant ; songez à ce qui nous est arrivé l’année dernière pour le Maroc.

Nous ne croyons pas qu’il soit nécessaire, dans la discussion de l’adresse, de revenir sur le traité de Tanger, et nous conseillerions volontiers à l’opposition de ne pas rouvrir un ancien débat. Cependant personne ne peut contester que le ministère n’ait fait la faute de considérer, l’année dernière, la question du Maroc comme une question anglaise, au lieu d’en faire simplement une question africaine. Ce point de vue a tout compliqué. On dit que, dans la prochaine discussion, M. Guizot, avec cette hardiesse qui lui sied si bien à la tribune, compte rouvrir lui-même le débat sur ce point, et soutenir que nous avons bien fait de beaucoup accorder à l’Angleterre dans la question du Maroc, parce que ces concessions, qui ont prouvé notre sagesse, nous donnent le droit cette année d’agir avec une entière indépendance contre le Maroc, et que ce droit est pleinement reconnu par l’Angleterre. Cet argument, s’il est fait, nous semble dangereux. Si notre indépendance a besoin de l’aveu de l’Angleterre, si notre droit d’agir doit être reconnu par quelqu’un dans le monde, nous craignons que l’arbitre que nous choisissons ne soit pas toujours impartial ; nous craignons surtout que nous ne soyons trop empressés à mériter sa bonne volonté.

Y aura-t-il une grande discussion sur les affaires de l’Algérie ? Nous ne le pensons pas. La guerre pèsera sur la tribune et la contiendra. Il faut, en ce moment, pourvoir aux nécessités de la guerre ; voilà le premier besoin du pays. Cependant nous ne pensons pas que le ministère puisse tout-à-fait se cacher derrière ces nécessités, et dérober ses fautes au grand jour des débats. Il a mal exécuté une paix qu’il avait mal faite, et il est curieux de voir comment, par un abaissement progressif, nous avons passé de la gloire de la bataille d’Isly à l’honneur douteux du traité de Tanger, et de là aux désappointemens successifs de l’inexécution de ce traité. Cette inexécution a eu surtout ce caractère, que le ministère a semblé y consentir de bonne grace. On eût dit qu’il s’y attendait, et que, fort content d’avoir pu bâcler un traité tel quel, et de l’avoir fait approuver par les chambres, il s’inquiétait peu de savoir comment il était exécuté.

La prise d’armes d’Abd-el-Kader et les désastres qui ont suivi cette prise d’armes ont averti la France du danger qu’il y avait à ne pas retirer de la victoire tout le profit qu’on peut en tirer immédiatement, et à compter sur le bon effet que produira la modération des vainqueurs. Toutes ces idées, qui