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caresses sur le sein de la femme qui l’a nourri. Ce développement se trouvait arrêté chez les enfans élevés dans nos hospices. Comme ils croyaient n’avoir rien reçu, ils n’avaient rien à rendre. Qui donc auraient-ils aimé ? — L’état ? — C’est un être bien vague et bien abstrait, pour toucher beaucoup de jeunes imaginations. — Les personnes qui les entouraient ? — Mais ces personnes, chargées de distribuer les mêmes soins à tous les élèves de la maison, ne s’attachaient pas plus l’un que l’autre. Cabanis et d’autres observateurs ont vu dans ces enfans-là des êtres à part, chez lesquels le sens moral et même le sens commun n’existaient pas. Les filles valaient encore moins que les garçons : élevées dans la retraite jusqu’à vingt-deux ans, elles se trouvaient en outre gauches, embarrassées, timides, à leur entrée dans le monde. Voilà des faits convaincans, qui démentent plus d’un système. L’éducation, et par ce mot nous entendons surtout la culture de l’être moral, ne peut donc s’exercer avec succès que hors des murs de la maison commune, dans le sein d’une adoption étroite qui remplace le plus possible la maternité. — Cette règle administrative est dictée par une loi même de la nature. La plante ne se développe point sans tenir à la terre, et le cœur humain sans toucher à la famille.

Si d’un côté la tradition populaire attribue aux enfans naturels un caractère et des vices qui leur sont propres, elle leur accorde en revanche plus d’esprit qu’aux autres hommes. La vérité est qu’ils ne sont moralement ni plus mal ni mieux nés que les enfans légitimes. La plupart des défauts que les anciens observateurs leur reprochent doivent être mis, comme nous l’avons vu, à la charge de l’hospice dans lequel on commettait alors l’erreur de les élever. Quant à leur esprit, il ne se manifeste, comme celui des enfans ordinaires, que dans un milieu favorable. L’histoire cite plusieurs d’entre eux qui sont devenus célèbres. Moïse, le législateur des Hébreux, était un enfant trouvé ; d’Alembert, dans le dernier siècle, avait été exposé, comme tant d’autres bâtards connus, sur les marches d’une église. Cependant il convient de faire observer que tous avaient été recueillis après leur disgrace par les mains d’une femme, et qu’ils avaient ainsi reçu dès le plus bas âge l’éducation de famille. Le premier maître d’école de l’enfant, c’est sa mère, et, en l’absence d’une mère, sa nourrice. Les nouveau-nés de l’hospice envoyés à la campagne sont jusqu’à sept ans regardés comme des nourrissons, et depuis sept jusqu’à douze comme des pensionnaires de celle qui les reçoit. S’il est vrai que l’enfant suce avec le lait le caractère et les inclinations morales de la femme qui lui présente