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tard dans le monde. Mon cher oncle a bien voulu me conduire lui-même jusqu’au seuil de cette maison…

— Mademoiselle Maragnon est la bien venue ici, dit alors la mère Angélique en s’adressant à l’oncle aussi bien qu’à la jeune fille ; mais, avant que je lui fasse ouvrir la porte du cloître, il faut qu’elle sache bien la vie qu’on mène parmi nous, il faut qu’elle connaisse la règle un peu sévère à laquelle elle sera soumise temporairement.

— Oui, madame, cela est en effet prudent, dit M. Maragnon en considérant à travers la grille l’austère tableau qu’offrait la partie intérieure du parloir, et en cherchant à deviner sous l’épais voile noir les traits de la supérieure.

— Ma chère fille, reprit celle-ci en s’adressant à Éléonore avec cet accent plein d’onction et de fermeté sévère qui lui était particulier, nos pensionnaires sont assujetties à des devoirs presque aussi pénibles que ceux des novices ; vous partagerez votre temps entre la prière et un travail assidu. Le travail est ici la principale obligation après ce que l’on doit à Dieu.

— Je m’y soumettrai avec joie pour réparer tant d’heures perdues dans de frivoles occupations, répondit gaiement Éléonore.

— La maîtresse des pensionnaires aura sur vous une autorité absolue, reprit la mère Angélique ; elle éprouvera continuellement votre soumission.

— Ah ! madame, j’ai tant fait ma volonté, que vraiment je ne m’en soucie plus, s’écria la jeune fille en riant ; ceci ne peut donc pas s’appeler un sacrifice.

— Vous serez vêtue d’une robe d’étamine noire fort grossière, reprit la mère Angélique en appuyant sur chaque mot : vous vous lèverez chaque jour au premier Angelus, vous n’aurez que l’ordinaire de la communauté, laquelle fait un carême perpétuel ; enfin vous serez entièrement séparée des novices pendant le travail, la récréation, et vous ne verrez votre cousine Anastasie que dans le chœur ou au parloir….

— Cette dernière privation me sera pénible, dit Éléonore avec émotion ; mais je la supporterai, puisque j’aurai l’espérance de voir quelquefois ici ma chère Anastasie.

— Ainsi vous persistez, ma fille, continua la mère Angélique ; vous persistez dans votre dessein d’entrer comme pensionnaire dans notre pauvre couvent ?

— Oui, madame, j’y persiste, répondit Mlle Maragnon.

— C’est inconcevable ! murmura l’oncle, qui depuis le