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« Je compte que vous viendrez ; je me flatte même de l’espérance d’y voir Mme du Deffand ; mais, pour Mlle Aïssé, je ne l’attends pas. Le turc sera son excuse, et un certain chrétien de ma connaissance, sa raison. » Ainsi, dès-lors, Mlle Aïssé était aimée du chevalier d’Aydie (car c’est bien lui qui se trouve ici désigné), et si elle restait à Paris, sous prétexte de ne pas quitter M. de Ferriol, elle avait sa raison secrète, plus voisine du cœur.

A une date antérieure, le 4 février 1719, il est question, dans un autre billet de Bolingbroke à d’Argental, de je ne sais quel évènement plus ou moins fâcheux survenu à l’aimable Circassienne ; je donne les termes mêmes sans me flatter de les pénétrer : « Je vous suis très obligé, mon cher monsieur, de votre apostille ; mais la nouvelle que vous m’y envoyez me fâche extrêmement. Mlle Aïssé était si charmante, que toute métamorphose lui sera désavantageuse. Comme vous êtes de tous ses secrets le grand dépositaire[1], je ne doute point que vous ne sachiez ce qui peut lui avoir attiré ce malheur : est-elle la victime de la jalousie de quelque déesse, ou de la perfidie de quelque dieu ? Faites-lui mes très humbles complimens, je vous supplie. J’aimerais mieux avoir trouvé le secret de lui plaire, que celui de la quadrature du cercle, ou de fixer la longitude. » Comme ce billet à d’Argental est écrit en apostille d’une lettre à Mme de Ferriol et à la suite de la même page, on ne doit pas y chercher un bien grand mystère. Cette métamorphose, qui ne saurait être que désavantageuse, pourrait bien n’avoir été autre chose que la petite vérole qu’aurait envoyée à ce charmant visage quelque divinité jalouse ; dans tous les cas, il ne paraît point qu’elle ait laissé beaucoup de traces, et le don de plaire fut après ce qu’il était avant.

La phrase qu’on a lue plus haut sur le procédé d’une certaine personne, lequel était de nature, selon Bolingbroke, à faire désirer à Mlle Aïssé un éloignement momentané de Paris, pourrait bien s’appliquer à ce qu’on sait d’une tentative du Régent auprès d’elle. Ce prince en effet, l’ayant rencontrée chez Mme de Parabère, la trouva tout aussitôt à son gré et ne douta point de réussir ; il chercha à plaire de sa personne, en même temps qu’il fit faire sous main des offres séduisantes, capables de réduire la plus rebelle des Danaë ; finalement

  1. Tu seras de mon cœur l’unique secrétaire,
    <smEt de tous nos secrets le grand dépositaire.
    C’est Dorante qui dit cela dans le Menteur (acte II, scène VI). Bolingbroke savait sa littérature française par le menu.