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qu’il vécut, le portrait d’Aïssé occupa son rang dans le salon de Nanthia, parmi les autres cadres de famille ; lui mort, et les souvenirs personnels qui expliquaient, qui justifiaient tout, étant déjà loin, le portrait devint un embarras ; il passa dans une arrière-chambre ; puis bientôt, à la génération suivante, il s’éclipsa tout-à-fait. Il se retrouverait sans doute encore, nous assure-t-on, dans quelque grenier du Périgord[1].

Il en est des amans comme des poètes : ils n’ont qu’une famille, tous ceux qui, venus après eux, les sentent, tous ceux qui, loin d’en rougir, les envient. Le jeune homme à qui ses passions font trêve et donnent le goût de s’éprendre des douces histoires d’autrefois, la jeune femme dont ces fantômes adorés caressent les rêves, le sage dont ils reviennent charmer ou troubler les regrets, le studieux peut-être et le curieux que sa sensibilité aussi dirige, eux tous, sans oublier l’éditeur modeste, attentif à recueillir les vestiges et à réparer les moindres débris, voilà le cortége véritable, voilà la postérité légitime des poétiques amans. Elle n’a point manqué jusqu’ici à l’ombre aimable d’Aïssé. Son petit volume est un de ceux qui ont leurs fidèles et qu’on relit de temps en temps, même avant de l’avoir oublié. C’est une de ces lectures que volontiers on conseille et l’on procure aux personnes qu’on aime, à tout ce qui est digne d’apprécier ce touchant mélange d’abandon et de pureté dans la tendresse, et de sentir le besoin d’une règle jusqu’au sein du bonheur.


SAINTE-BEUVE.

  1. La race d’Aïssé est très long-temps éteinte ; la vicomtesse d’Absac, son arrière-petite-fille, mourut pendant la révolution sans laisser d’enfans.