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que les hasards se disputent ressaisissant toujours la lyre d’or et chantant comme Alcée, au dire d’Horace, les rigueurs de la tempête, de l’exil ou de la guerre[1] ? Ceci peut, à beaucoup d’égards, s’appliquer au duc de Rivas, qui est une de ces organisations favorisées et, avant tout, noblement acquises à l’art. Le dévouement prodigue de la jeunesse, l’occasion, les circonstances, l’ont pu jeter dans les camps et dans les conseils, l’ont seuls fait militaire ou homme d’état ; c’est la nature qui l’a fait poète. Dans l’homme politique même se retrouve encore cette qualité précieuse et innée. Soit qu’il se laisse aller à son ardeur révolutionnaire, et s’ouvre ainsi la route de l’exil, soit qu’en présence de la révolution triomphante il jette un triste adieu à Charles IV, qui fut le roi de son enfance, et mette la mémoire de ce souverain, dont l’ame était infirme, sous la protection de son inoffensive candeur, c’est plutôt un instinct généreux qui le domine qu’une conviction raisonnée et fondée sur de savans calculs. Le fond de sa conviction comme de sa poésie, c’est un amour vague, passionné, ardent pour son pays à toutes les époques, dans son passé grandiose, comme dans son présent attristé, comme dans son avenir douteux, — amour peint à chaque page de ses œuvres en traits où se révèle l’homme qui a souffert de ce mal cruel de l’absence. C’est sans aucun doute par le duc de Rivas que l’Espagne est représentée avec le plus d’éclat dans la littérature européenne. Ainsi l’imagination tient encore le premier rang dans la rénovation intellectuelle de la Péninsule ; elle est le signe de l’illustre parenté qui unit quelques-uns des écrivains nouveaux aux génies d’un autre âge. L’histoire de cette antique tradition rajeunie, faite à un point de vue large et élevé, pourrait être l’histoire même de l’Espagne.

La littérature castillane, aujourd’hui renaissante, a traversé depuis trois siècles bien des phases diverses ; elle a eu ses heures de gloire et d’abattement profond. Faut-il ajouter que ces alternatives dans les destinées de l’art espagnol coïncident toujours avec les périodes de prospérité ou de décadence politique ? L’âge qui dans l’histoire littéraire a gardé ce beau nom d'âge d’or répond à ce temps où, chaude encore d’une lutte de sept siècles, l’Espagne se répandait dans le monde entier et tentait de lui imposer une domination gigantesque. Tout alors, dans ce vaste empire, était monté au ton de la grandeur. C’est par l’imagination surtout que brilla cette ancienne et glorieuse littérature. L’exaltation de la foi, l’amour du merveilleux, la fougue

  1. Horace, liv. II, ode 13.