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subordonner tous au point de vue européen. Le plus beau privilège de la critique française (et ce qui distingue surtout l’enseignement du Collège de France), c’est l’art de vulgariser, de grouper les faits épars, de résumer en un faisceau tous les travaux isolés, en un mot de donner au monde des formules. Certes, amener à des formules générales, réduire en corollaires toutes les questions de la slavistique, serait une rude tâche. On se plaint déjà de la difficulté de résumer l’érudition allemande, quoique cette érudition se serve d’une langue unique et qu’elle ait une foule de points connus. Que serait-ce donc s’il fallait résumer l’érudition slave, qui s’entasse depuis des siècles en cinq langues différentes ? Aussi n’aurai je point la vanité d’y prétendre. Pour la partie de pure érudition, je m’efforcerai d’être aussi bref que possible. Je sens d’ailleurs tout ce qu’aurait ici de fastidieux un cours d’érudition slavistique : l’importance de pareilles questions ne peut être bien sentie que dans les pays slaves. Je me contenterai donc d’indiquer, sur chacune de ces questions, la donnée générale, et de présenter le dernier résultat. — Les monumens de la littérature nationale, surtout les poésies, les chants et les légendes populaires, telle est l’inépuisable mine d’où je tirerai mes principales ressources ; mais à cette partie attrayante et facile je devrai en joindre une autre plus importante, comme aussi plus épineuse, et où chaque parole devra être soigneusement pesée : je veux dire l’appréciation historique.

Dans cette seconde partie de ma tâche, il s’agit d’éclairer par l’histoire les tendances de la littérature, il s’agit de faire bien comprendre la véritable situation des différens peuples slaves dans leur rapports internationaux et dans leurs relations morales avec la France. Il y a là évidemment un but pratique, un but d’utilité nationale. Il s’agit dans cette partie du cours de faire servir la littérature à entretenir, à cimenter l’antique lien d’amitié qui n’a jamais cessé d’exister entre la France et les Slaves de la Pologne, de l’Autriche, de l’Illyrie. Cette force d’attraction qui existe entre les deux races slavone et française agit vraiment avec une sorte de pouvoir magnétique. Jetez les yeux sur un bateau à vapeur où se trouvent des voyageurs de toutes les nations. Le Slave de Pologne, de Bohême, de Dalmatie, le Russe même, à qui va-t-il d’abord ? Au Français ; c’est avec le Français qu’il se lie, qu’il fraternise de préférence. Les Slaves sont de tous les peuples ceux dont le caractère ressemble le plus au nôtre, ceux qui s’amalgament le plus vite avec nous. Il n’y a pas un slaviste qui ne pense (et j’ai moi-même entendu dire mille fois aux paysans d’Illyrie et de Bohême) que si, au lieu de l’épaisse muraille du corps germanique, c’était le Rhin seul qui les séparât de la France, il y a des siècles qu’il n’existerait plus de frontière entre eux et nous.

Ne verrait-on d’incontestable dans tous ces faits que le besoin irrésistible chez le Polonais de concourir à tout ce qu’entreprend la France, de tels symptômes sont assez graves pour mériter notre attention. Qu’on réfléchisse que du temps de Napoléon le cadre des légions polonaises a toujours été complet. A mesure que leurs rangs s’éclaircissaient sous le canon des rois