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Staël de quoi combler tous les désirs. Telle fut la liaison qui s’établit entre eux, liaison fondée sur la différence plus que sur la conformité des caractères, et par cela même plus profitable à tous deux. Il est difficile de croire que l’auteur de l’Allemagne ne s’éclaira pas souvent dans la conversation d’un juge aussi sûr toutes les fois que les préventions ne l’aveuglaient pas ; et, d’autre part, le spectacle de cette sensibilité si vive que l’art et la poésie n’avaient pas seuls le don d’émouvoir, cette exaltation généreuse dont tous les mouvemens partaient du cœur, tout en causant peut-être quelque surprise à M. Schlegel, ne durent pas être perdus pour lui ; il avait un esprit digne de tout comprendre. Toujours est-il qu’il conserva de cette époque de sa vie plus de souvenirs que d’amitiés. Blessé des inégalités sociales, il ne sut pas se mettre au-dessus d’elles et se faire franchement l’égal d’hommes qui eussent volontiers accepté l’égalité. L’hôte le plus assidu de Coppet et le plus accueilli, Benjamin Constant, fut aussi celui dont il se tint le plus éloigné. Il avait à son égard plus d’un motif d’aigreur. L’esprit de Benjamin Constant n’était pas assez conciliant pour adoucir les rancunes d’un rival malheureux. Entre tous les amis de Mme de Staël, ce fut avec M. Fauriel que M. Schlegel contracta la liaison la plus douce et la plus suivie. Il y avait entre eux une communauté d’études qui les rapprochait, et la nature sympathique de M. Fauriel devait triompher de toutes les défiances.

Dès que Mme de Staël put quitter la Suisse, M. Schlegel l’accompagna en Italie. Il est resté comme souvenir de ce voyage une longue lettre adressée à Goethe sur les œuvres des artistes contemporains, et une élégie célèbre sur Rome, dont M. Sainte-Beuve a rendu le mouvement poétique, malgré quelques suppressions, dans son portrait de Mme de Staël, à qui elle était adressée. Cette pièce est imitée de l’élégie de Properce. On y retrouve aussi plusieurs traits empruntés à Virgile, à Horace, à Lucain, que l’auteur ne prend pas même soin de dissimuler, dans la crainte de les affaiblir ; mais là où les souvenirs lui font défaut, inspiré par la présence des lieux, il y supplée de telle façon, que l’on distingue malaisément ce qu’il traduit de ce qu’il invente.

De l’Italie on passa en France, afin d’apercevoir Paris de loin. Les tracasseries de la police impériale n’étaient pas faites pour guérir les préventions que M. Schlegel avait pu apporter. Il s’en vengea par bon nombre d’épigrammes ; mais sans doute Mme de Staël ne permit jamais que l’on confondît la France avec le pouvoir qui la gouvernait, et qu’elle avait le droit de ne pas aimer. En 1807 cependant, on réussit à se rapprocher de Paris. Ce fut dans ce court moment que parut le