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On sent qu’Euripide a voulu se faire pardonner par ce contraste une autre nouveauté plus hasardée, la peinture de l’amour, que ses devanciers avaient rejetée comme trop sensuelle et ne donnant pas une assez haute idée de la dignité humaine. M. Schlegel a noblement décrit le charme particulier qui s’attache à l’Hippolyte grec :


« Hippolyte, dit-il, a une teinte si divine, que, pour la sentir dignement, il faut pour ainsi dire être initié aux mystères de la beauté, avoir respiré l’air de la Grèce. Rappelez-vous ce que l’antiquité nous a transmis de plus accompli parmi les images d’une jeunesse héroïque, les Dioscures de Montecavallo, le Méléagre et l’Apollon du Vatican : le caractère d’Hippolyte occupe dans la poésie à peu près la même place que ces statues dans la sculpture. Winckelmann dit qu’à l’aspect de ces êtres sublimes, notre ame prend elle-même une disposition surnaturelle, que notre poitrine se dilate, qu’une partie de leur existence si forte et si harmonieuse paraît passer en nous. J’éprouve quelque chose de pareil en contemplant Hippolyte tel qu’Euripide l’a peint. On peut remarquer, dans plusieurs beautés idéales de l’antique, que les anciens, voulant créer une image perfectionnée de la nature humaine, ont fondu les nuances du caractère d’un sexe avec celui de l’autre ; que Junon, Pallas, Diane, ont une majesté, une sévérité mâle ; qu’Apollon, Mercure, Bacchus, au contraire, ont quelque chose de la grace et de la douceur des femmes. De même nous voyons dans la beauté héroïque et vierge d’Hippolyte l’image de sa mère l’Amazone et le reflet de Diane dans un mortel. »


Si Racine eût pu conserver dans sa fraîcheur primitive cette fleur de la Grèce, s’il eût uni la naïveté antique à cette intelligence du cœur, fruit de la lente expérience des siècles, il eût surpassé du même coup Euripide, Sophocle et lui-même. Du moins a-t-il eu soin de rappeler Hippolyte tel qu’il était, en le montrant tel qu’il est devenu. Le héros est déchu, mais il est encore entouré du prestige de sa gloire :

Hercule à désarmer coûtait moins qu’Hippolyte,


dit Aricie à Ismène, et c’est cette fierté même qui l’a séduite. Elle aussi avait défié l’amour. Hippolyte est l’excuse d’Aricie, et Aricie celle d’Hippolyte. Malgré cette justification, ce ne fut pas sans nécessité que Racine s’imposa un tel sacrifice ; qu’auraient dit les petits-maîtres s’il n’avait pas fait son Hippolyte amoureux ? Arnaud, il est vrai, blâmait déjà cette faiblesse ; mais, pour l’austère janséniste, ce n’était pas là une question de goût. Désarmé par la passion et les fureurs de Phèdre, il gardait sa sévérité pour un amour plus dangereux par son innocence. Le personnage d’Aricie n’est pas cependant de