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maîtres grecs de l’Orient. Il expliquait et corrigeait les ouvrages des grands poètes ; l’expérience réussit assez bien, et produisit même quelques imitateurs, aliis exemplo fuit ad imitandum, nous dit Suétone. Par malheur, le même historien ajoute que, six ans après, Rome expulsait brutalement les philosophes et les rhéteurs[1]. Il fallait du temps encore pour que ces rudes mœurs pussent livrer passage à la contagion d’une science élégante et raffinée. Un siècle plus tard, Varron résumait le premier, pour ses concitoyens, quelques controverses des écoles grecques, et commençait, à vrai dire, en Occident, la renommée des Cratès et des Aristarques.

C’est surtout comme interprète d’Homère qu’Aristarque l’emporte sur Cratès, et c’est surtout comme tel que nous voudrions aujourd’hui le connaître et l’apprécier. Dès la renaissance des lettres, on s’est beaucoup moqué, particulièrement en France, de l’érudition et de la manie des commentaires, et, depuis Érasme jusqu’à Voltaire, nous avons là-dessus de charmantes satires ; mais on s’est trop habitué à croire que ce pédantisme est précisément né, au XVIe siècle, d’une admiration naïve pour l’antiquité mal comprise. Lucien connaissait déjà de pédans admirateurs d’Homère et s’en moquait avec grace. Nous n’avons plus maintenant une idée de cette prodigieuse activité qui, pendant six siècles, entre la fondation d’Alexandrie et le triomphe du christianisme, inonda la Grèce d’éditions, de commentaires, de discussions savantes sur les bons comme sur les méchans écrivains, sur Homère avant tous les autres. C’est dans le gros volume de Villoison qu’il faut chercher les titres et les débris de tant de livres long-temps oubliés. En quatre cents ans, avec l’imprimerie, l’érudition moderne a été moins féconde.

Aussi, il faut le dire, jamais nom de poète n’a eu chez aucun peuple, en aucun pays, une autorité comparable à celle d’Homère chez les Grecs. L’Iliade et l’Odyssée étaient les livres saints de l’ancienne Grèce : elle y trouvait et la suprême beauté de son génie et la plus pure vérité de son histoire comme de sa théologie primitives. Long-temps ces poèmes furent chantés avec enthousiasme par des rapsodes, sorte de prêtres des muses qu’entourait un respect religieux. Puis, quand l’écriture se répandit, on les lut, on les apprit partout dans les écoles avec autant d’ardeur qu’on les avait jadis entendus de la bouche des rapsodes. Pisistrate avait doté Athènes du premier exemplaire complet de l’Iliade et de l’Odyssée. Chaque ville

  1. Suétone, Dr Illustribus Grammaticis, c. I ; De Claris Rhetoribus, c. I.