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dans notre langue, parce qu’elle n’est pas trop de notre fait, qui n’est précisément ni la sensibilité, ni la bonhomie, ni la simplicité, ni l’onction, qui est quelque chose comme tout cela, et qu’on appelle en allemand Gemüthlichkeit. En somme, c’est un type singulier qui s’est conservé à travers tous les âges. Les fameux caractères de la maison de Hohenstauffen sont marqués à cette empreinte vigoureuse, et il en reste jusque sous l’éducation moitié italienne et moitié arabe de Frédéric II.

Quand la chute de cette illustre maison eut enlevé à la Souabe le rang qu’elle tenait dans l’empire, la place laissée par une si vaste ruine devint une sorte d’arène où le pays s’exerça tumultueusement à la vie politique ; elle fut là plus active que partout ailleurs, et mieux qu’ailleurs donna du relief à ses personnages. Puis, quand les progrès de l’ordre européen eurent mis à néant les petites existences nationales, la fécondité de cette terre privilégiée ne se ralentit pas. Il en sort à la fois trois hommes qui pourraient seuls immortaliser tout un peuple : Schiller, Hegel et Schelling ; et si, après cette génération glorieuse, il était permis de citer d’autres noms trop jeunes encore pour avoir mérité l’honneur d’un pareil rapprochement, on verrait bien que la veine n’est pas épuisée, et qu’on peut se fier en l’avenir.

Or, tous ces mouvemens et tous ces hommes, nés sur le sol d’une même patrie, ont laissé trace de leur passage à Tubingue. Ç’a été là le berceau de bien des agitations qui sont venues renouveler la politique comme la philosophie. C’est à Tubingue que fut juré, en 1514, le pacte constitutionnel du vieux duché de Wurtemberg. C’est à Tubingue que Hegel et Schelling étudiaient ensemble, sur la fin de l’autre siècle, et l’on visite encore la chambre où ils vécurent dans cette première communauté de leurs pensées.

Ceux qui habitent maintenant les lieux qu’ils habitèrent ne sont pas restés au-dessous de pareils souvenirs. On est tout étonné de rencontrer tant de personnes distinguées si fort serrées les unes contre les autres dans cette petite ville universitaire, et la variété de ces mérites qui se coudoient augmente encore la surprise. Tout est remuant et divers. Il y a jusqu’à trois camps au sein de cette population d’élite, et l’un plus richement peuplé que l’autre. Il y a les savans d’ordre spécial, M. Baur, l’un des théologiens les plus respectés de l’ancienne école, trop vieux pour marcher avec Strauss, son élève, trop hardi pour accepter l’enseignement littéral de la stricte orthodoxie ; M. Valz, connu dans toute l’Allemagne par ses travaux d’archéologie ; l’orientaliste Ewald, l’un des proscrits de Goettingue,