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de tout un siècle ; mais la partie positive, la fondation du Christ philosophique, s’appuyait fièrement au plus ardu de la métaphysique hégélienne, et celle-ci était ainsi transplantée, sous forme d’érudition palpable, au cœur même de la dogmatique.

Ce ne fut qu’un cri d’alarme dans toute l’église wurtembergeoise. La réaction s’opéra d’autant plus vivement qu’on s’était moins attendu à de pareils coups. On destitua Strauss de son emploi de répétiteur au séminaire ; l’université, gagnée peu à peu dans presque tous ses membres, pénétrée d’une horreur croissante pour les hégéliens, se convertit à une orthodoxie de plus en plus scrupuleuse. La faculté de théologie embrassa le piétisme d’un accord unanime, son doyen excepté, M. Baur, qui resta rationaliste. Vers le même temps, la faculté de théologie catholique passait des opinions de M. de Wessenberg à l’ardeur exclusive des opinions ultramontaines ; celles-ci prenaient là, sous l’influence de M. Mohler, qui fut plus tard appelé en Bavière, cette couleur mystique que les amis de M. Baader lui ont tous involontairement empruntée, Schelling comme les autres. L’hégélianisme était vaincu dès sa naissance dans l’université de Tubingue, et avec lui malheureusement, par suite des circonstances générales, la liberté de l’esprit philosophique. Cet esprit se relève aujourd’hui à force de bon sens, de raison pratique et de modération. C’est là ce qu’il est si curieux de voir de près ; c’est là ce qui donne un intérêt sérieux aux Annales hégéliennes de Tubingue, quoiqu’elles n’aient pas encore en Allemagne tout le retentissement qu’elles auront : c’est la clarté, c’est la simplicité vigoureuse avec laquelle elles sont entrées dans cette route, où le pays tout entier marche à la conquête des droits positifs et des réformes possibles.

On se souvient peut-être d’un incident qui a fait cette année quelque bruit au-delà du Rhin : un professeur de Tubingue venait d’être suspendu pour avoir ouvert son cours en disant qu’il se garderait bien de parler de l’immortalité de l’ame et de l’existence de Dieu, vrais contes d’enfans, qui n’étaient plus à l’usage des hommes ! L’histoire nous arrivait, embellie par la bonne foi des piétistes allemands et de nos piétistes français. Heureusement elle n’est pas si noire, et ne dément point si cruellement cette loyale sagesse qui m’a frappé chez la jeune génération de Tubingue. Il s’agissait simplement d’un discours prononcé par M. Vischer devant le sénat académique, au moment où il prenait possession de la chaire d’esthétique fondée pour lui, malgré la plus vive opposition. Compagnons de Strauss, partisans déclarés des libertés politiques, rangés ouvertement sous la bannière