Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/543

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vigny parlait de choses à lui familières et présentes, combien, plus que jamais, il tenait par essence et par choix à ce noble genre, et à quel point, si j’ose ainsi parler, l’auteur d'Éloa était de la maison quand il révélait les beautés du sanctuaire.

M. Étienne, lui, n’était pas du tout du sanctuaire, et une illusion de son ingénieux panégyriste a été, à un certain moment, d’essayer de l’y rattacher, ou, lors même qu’il le rangeait définitivement dans la seconde classe, d’employer à le peindre des couleurs encore empruntées à la sphère idéale et qui ressemblent trop à des rayons. Pindare, ayant à célébrer je ne sais lequel de ses héros, s’écriait au début : « Je te frappe de mes couronnes et je t’arrose de mes hymnes… » Quand le héros est tout-à-fait inconnu, le poète peut, jusqu’à un certain point, faire de la sorte, il n’a guère à craindre d’être démenti ; mais, quand il s’agit d’un académicien d’hier, d’un auteur de comédies et d’opéras-comiques auxquels chacun a pu assister, d’un rédacteur de journal qu’on lisait chaque matin, il y a nécessité, même pour le poète, de condescendre à une biographie plus simple, plus réelle, et de rattacher de temps en temps aux choses leur vrai nom. Cette nécessité, cette convenance, qui est à la portée de moindres esprits, devient quelquefois une difficulté pour des talens supérieurs beaucoup plus faits à d’autres régions. On a dit de Montesquieu qu’on s’apercevait bien que l’aigle était mal à l’aise dans les bosquets de Guide ; nous sera-t-il permis de dire que l’auteur d'Éloa a souvent dû être fort empêché en voulant déployer ses ailes de cygne dans la biographie de l’auteur de Joconde et des Deux Gendres ? De là bien des contrastes singuliers, des transpositions de tons, et tout un portrait de fantaisie. Nous avons beaucoup relu M. Étienne dans ces derniers temps ; nous en parlerons très brièvement en le montrant tel qu’il nous paraît avoir réellement été.

Il possédait, dit M. de Vigny, une qualité bien rare, et que Mazarin exigeait de ceux qu’il employait : il était heureux. C’est là un trait juste, et nous nous hâtons de le saisir. Oui, M. Étienne était heureux ; il avait l’humeur facile, le talent facile, la plume aisée, une sorte d’élégance courante et qui ne se cherche pas. On a beaucoup parlé de la littérature de l’empire, et on range sous ce nom bien des écrivains qui ne s’y rapportent qu’à peu près : M. Étienne en est peut-être le représentant le plus net et le mieux défini. Il a exactement commencé avec ce régime, il l’a servi officiellement, il y a fleuri, et, s’il s’est très bien conservé sous le suivant et durant les belles années du libéralisme, il a toujours gardé son premier pli. Né en 1778