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peut-être qui soit entièrement mérité, presque tous sont de nature à provoquer en France de sérieuses réflexions. Ce n’est pas le moment d’y insister, mais nous voulons au moins les indiquer avec franchise ; sévères, comme nous le sommes en France, pour la philosophie allemande, il nous conviendrait mal d’être trop indulgens pour nous-mêmes.

On nous dit : Vous faites de l’expérience en petit, enfermés que vous êtes dans une étroite psychologie. Aspirez à quelque chose de plus élevé, à une métaphysique réelle qui atteigne l’origine et le fond des choses. Ne vous bornez pas à la théodicée toute formelle, toute négative de la scholastique ; tenez compte des progrès accomplis ; au lieu de revenir à Descartes, imitez-le : avancez.

Tout n’est pas également fondé, grace à Dieu, dans ces hautains reproches ; mais on ne saurait se dissimuler toutefois que, depuis un demi-siècle surtout, et particulièrement en France, il ne se soit accompli une séparation déplorable entre la philosophie et les sciences. Au XVIIe siècle, on distinguait, mais on ne séparait pas, la métaphysique et la physique, la science de Dieu et la science de la nature ; les fruits de cette union étaient admirables. Descartes publiait à la fois le Discours de la Méthode, la Géométrie et la Dioptrique, régénérant du même coup la philosophie et les sciences. Cette analyse sévère qu’il appliquait à la pensée avec tant de génie, transportée dans les mathématiques, enfantait une science nouvelle, l’application de l’algèbre à la géométrie. On se représente Malebranche comme un spéculatif perdu dans l’abstraction et la mysticité ; ce rêveur tenait fort bien sa place à l’Académie des sciences. Que dire de Leibnitz qui créait en même temps le calcul de l’infini et le système des monades, réunissant en sa vaste pensée, véritable miroir vivant de l’univers, pour lui appliquer une de ses expressions favorites, tous les objets qu’une intelligence finie peut embrasser ? Quel spectacle que celui de la controverse de Newton et de Leibnitz ! l’auteur du nouveau système du monde et celui de la Théodicée discutant devant l’Angleterre et l’Allemagne attentives les premiers principes des connaissances humaines ! Tout change au XVIIIe siècle, et la philosophie et les sciences commencent à s’isoler. D’Alembert est, certes, un grand esprit, et le Discours préliminaire de l’Encyclopédie, tour à tour trop vanté et trop dédaigné, est un beau morceau de philosophie ; mais retranchez-en la part qui revient à Bacon et celle de Locke, que restera-t-il à l’illustre géomètre ? Condillac analyse avec une rare finesse la langue des calculs ; mais