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classe d’hommes cultivée, et qui porte le malheur avec une dignité peu commune. Cependant un levain d’amertume s’y mêle déjà. On sent vibrer dans ce langage, qui a la même couleur religieuse, quelque chose de la résolution qui animait les puritains disciplinés par Cromwell. Il ne faudrait pas trop prolonger l’épreuve de misère à laquelle l’état de l’ordre social expose tant de familles laborieuses, si l’on ne veut pas que des hommes qui commencent à regarder en face les grandeurs qui les oppriment, se livrent à des pensées de bouleversement et de désordre. Les ducs et les marquis, qui traitent les ligueurs de jacobins, n’ont qu’à jeter les yeux plus près de leurs manoirs seigneuriaux ; ils apercevront dans les campagnes, pour peu que la flamme tombe sur ces matières combustibles, tous les élémens d’une jacquerie.

Voilà donc la situation dans laquelle sir Robert Peel a trouvé les partis à l’ouverture du parlement britannique. La ligue était triomphante, l’aristocratie divisée et déchue de ses espérances ; il n’y avait pas un seul homme, en Angleterre, qui ne crût désormais que la dernière heure du système prohibitif avait sonné. Ajoutez qu’un gouvernement qui aurait résolu d’en finir avec cette difficulté ne pouvait pas rencontrer des circonstances plus favorables : au dedans, un commencement de disette, et par conséquent la nécessité de se procurer des grains à tout prix ; au dehors, des récoltes médiocres et des prix peu inférieurs à ceux de la Grande-Bretagne. Il était évident que la suppression complète des, droits d’entrée ne devait amener aucune perturbation dans les fortunes, et que des mesures de transition n’auraient plus dès-lors aucun caractère d’utilité.

Ces mesures, rien ne les sollicitait, ni l’état du pays, ni la ligue, ni les propriétaires eux-mêmes. Mais il est rare que les questions se posent aux gouvernemens sous une forme aussi simple ; les considérations de personnes, les antécédens des partis, l’intérêt de telle ou telle combinaison politique, viennent les compliquer à l’envi. En modifiant ses opinions et sa ligne de conduite, ainsi qu’il en a loyalement fait l’aveu, en passant d’un système de protection modérée au principe d’une liberté sans limite, sir Robert Peel n’a pas pu s’affranchir, entièrement de la prétention d’établir un lien quelconque entre le présent et le passé. Il veut encore paraître conséquent avec lui-même, et que tous les partis trouvent leur compte à ce qu’il va faire. Accordant le principe aux uns, capitulant sur l’application avec les autres, il enfante une œuvre que l’on expliquerait difficilement, mais dans