Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/750

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais que sait-on des Horaces, de Pénélope, d’ Artaxerce, du Sacrifice d’Abraham, où l’inspiration s’élève par instans au sublime de Mozart, de l'Olympiade, dont la Pasta fut la dernière à nous faire entendre l’admirable duo ? Chose étrange, cet homme qu’un opéra bouffe devait rendre immortel a passé sa vie à chanter sur le ton héroïque, et dans le nombre de ses partitions sérieuses on compte des chefs-d’œuvre. Il semble que chez un Italien, un Napolitain surtout, les produits du rire doivent marquer seuls ; peut-être y a-t-il ainsi des conditions de climat. Au Midi, la gaieté, la chanson vive, éclose au soleil sur les lèvres ; au Nord brumeux la mélancolie et le romantisme. Pour Napolitain, il l’était jusqu’au macaroni, visage rubicond, corpulence énorme, un Lablache enfin, et cependant sur ce visage on eût surpris le sourire attristé de Molière, cette teinte mélancolique dont se voilent souvent ses mélodies ; était-ce un pressentiment de cette mort cruelle qui l’attendait au fond des cachots le jour où sa voix, changeant de mode, voudrait chanter la liberté ?

L’Académie royale de musique continue à peu faire parler d’elle, et, si l’on nous demandait quels travaux importans s’y, préparent, nous serions à coup sûr bien embarrassé de répondre, au moins aussi embarrassé que son directeur lui-même. Sans doute, ç’a été un très grand succès que le Diable à quatre, et nous n’oserions dire que l’Etoile de Séville n’a point réussi ; mais ces deux ouvrages ne semblaient-ils pas plutôt destinés à faire prendre patience aux gens qui, comme nous, attendent depuis trop long-temps quelqu’une de ces partitions de maître dont la mise à la scène constate seule qu’on sait maintenir son rang de premier théâtre lyrique ? Or, ce que le passé de cette administration nous refuse absolument, pouvons-nous espérer qu’un avenir prochain nous le réserve ? Cherchons : l’auteur des Huguenots retourne à Berlin, après un séjour de trois mois à Paris, pendant lequel on n’a pas même obtenu de lui une promesse ; M. Auber paraît avoir juré de ne faire désormais à son Conservatoire d’infidélités que pour l’Opéra-Comique, et je ne pense pas, après le si brillant succès des Mousquetaires de la Reine, qu’il soit le moins du monde nécessaire de demander à M. Halévy de quel côté ses sympathies inclinent pour le moment. Ainsi, rien de l’auteur de Robert-le-Diable, rien de l’auteur de la Muette et de Gustave, rien de l’auteur de la Juive. Cette sorte de mise au ban, qu’on nous pardonne le mot, d’excommunication d’une scène royale, nous serions des premiers à la blâmer sévèrement, s’il nous fallait croire qu’elle fût le fait du mauvais vouloir et de la cabale. Il y aurait en effet, dans une collision de ce genre, quelque chose de malséant, et nous verrions avec peine des hommes d’intelligence et de renom imiter des ouvriers en grève et se former en corporation pour affamer un directeur de spectacle. En conscience, peut-on dire que rien de semblable ait lieu autour de l’Opéra ? J’ai beau y regarder, je ne vois ni machination, ni concert. La question est tout individuelle. « J’ai cessé de me plaire ici, essayons si là-bas je ne serai pas mieux. » Peut-on attendre d’un auteur qu’il