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de la cuisine, les causes et les effets des maladies, la composition d’une infinité de remèdes, de parfums, d’eaux de senteur et de distillations utiles ou salantes pour la nécessité ou pour le plaisir. » Occupations fort innocentes et qui assurent à Mlle de Scudéry une supériorité marquée sur la plupart des précieuses et des femmes savantes, sur Madelon et sur Philaminte, si dédaigneuses des choses du ménage ; mais ces études ne préparaient guère l’auteur futur de la Clélie à comprendre les héros de la vieille Rome. Plus tard son style doucereux ressemblera assez à ces distillations galantes où elle excellait dans sa jeunesse ; on conviendra qu’il fallait autre chose pour représenter Brutus et Mucius Scoevola.

Mlle de Scudéry s’occupait pourtant d’études plus relevées ; elle apprit l’espagnol et l’italien, qui étaient alors si fort à la mode. Elle lut les principaux auteurs dans l’une et l’autre langue, et y fit pour ses romans futurs ses provisions d’emphase et de concetti. Déjà, dans la maison de son oncle où, selon Conrart, les bonnes compagnies abordaient tous les jours de tous les côtés, elle s’exerçait aux conversations, se préparant ainsi à figurer un jour avec honneur dans le salon de Mme de Rambouillet et à présider plus tard chez elle ses réunions sentimentales et littéraires entre Ménage et Chapelain.

Après la mort de son oncle, vers 1630, elle vint s’établir à Paris avec son frère, et ils demeurèrent ensemble jusqu’en 1655. Scudéry, protégé par Richelieu, travaillait pour le théâtre avec cette fécondité malheureuse dont s’égayait Boileau :

Bienheureux Scudéry dont la fertile plume
Peut tous les mois sans peine enfanter un volume[1] !
Tes écrits, il est vrai, sans art et languissans,
Semblent être formés en dépit du bon sens ;
Mais ils trouvent pourtant, quoi qu’on en puisse dire,
Un marchand pour les vendre et des sots pour les lire.


Ses ouvrages se vendaient assez bien, en effet, si nous en croyons

  1. Boileau exagère beaucoup cependant. Scudéry composa seize pièces pour le théâtre, et publia en outre une douzaine de volumes de prose et de vers. Il est vrai que quelques personnes pouvaient le regarder comme l’auteur des romans écrits par sa sœur et signés par lui, quoiqu’il fût impossible d’y reconnaître la main de Scudéry. Dans tous les cas, cela ne ferait en tout, en 1664, époque où Boileau a écrit ces vers, qu’une cinquantaine de volumes publiés en trente-quatre ans. Cette fécondité, fort extraordinaire pour le temps, semblerait aujourd’hui une extrême stérilité.