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pour retenir les individus que l’appât de la nouveauté aurait seul réunis. D’ailleurs, on ne doit point espérer enrégimenter sous les sarraux phalanstériens ceux qui occupent déjà une place dans notre société laborieuse. Il ne faudrait pas se montrer trop difficile sur la qualité. On serait obligé d’ouvrir à deux battans les portes de la commune aux désœuvrés, aux esprits inquiets et toujours mécontens de leur sort. Une fois les membres du phalanstère rassemblés, il resterait à les faire travailler passionnément, sans le secours de la morale et de la faim, par le pur attrait du travail. Là commencerait une difficulté plus sérieuse ; là se trouverait, même pour une agrégation mieux choisie, une cause de dissolution. On demande quinze millions de francs pour un essai en grand, et tout au plus deux ou trois millions pour un essai restreint. Ce qui peut arriver de plus heureux à l’école, c’est de ne point trouver les fonds nécessaires pour une épreuve, et, sans trop d’illusion, elle peut compter sur ce bonheur-là.

Le fouriérisme a pris la question de l’organisation du travail comme un moyen de propager ses enseignemens : vain effort, il reste muré dans le cercle d’un petit nombre d’adeptes. La plupart même de ceux qui suivent sa polémique sont étrangers à sa doctrine ; la théorie phalanstérienne manque, en effet, de cette simplicité et de cette netteté qui saisissent les intelligences et les gagnent à une idée. On la rend triviale, sans qu’elle devienne populaire. Ce vice de la doctrine est très frappant dans l’ouvrage de M. Briancourt. En exposant le système dans une sorte de roman dialogué, M. Briancourt a cru que l’étude en serait plus attrayante, et il n’est parvenu qu’à lui ôter son caractère original. Le dialogue sur des matières sociales et politiques est soumis, d’ailleurs, à des conditions sévères, sous peine de devenir plat et ennuyeux. Si on met en scène, comme l’écrivain fouriériste, des personnages vulgaires, on tombe infailliblement dans des familiarités de mauvais goût. Pour traiter des matières sérieuses, il faut supposer des interlocuteurs familiers avec de pareilles discussions. Quand on rassemble, pour converser sur un mode nouveau de sociabilité, un pharmacien, un juge de paix, un chef d’escadron en retraite, et quelques autres honnêtes gens aussi peu accoutumés à débattre des sujets philosophiques, on se condamne d’avance à abaisser un langage qui devrait toujours être noble et digne. Il n’est point étonnant dès-lors que l’écrit dont nous parlons soit semé d’objections banales, de comparaisons risquées et d’expressions communes. Fourier ne se fait pas faute de vulgarités pareilles ; le caractère original de son style empêche, sinon qu’on s’en aperçoive, du moins qu’on en soit blessé. Ses disciples ont tout à perdre à le suivre dans cette voie : croire attirer les masses en leur parlant un langage trivial, c’est se méprendre sur leurs sentimens.

Les écrivains radicaux, tout en réclamant, pour la plupart, une révolution sociale, n’aspirent pas à transformer les conditions traditionnelles de l’humanité aussi complètement que le voudraient les communistes et les fouriéristes.