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préventives. Il restera toujours, hélas ! un champ assez vaste à la répression judiciaire.

Deux ouvrages qui ont été récemment l’objet d’un rapport et d’une discussion à l’Académie des sciences morales et politiques se rattachent par beaucoup de liens aux doctrines de M. Dunoyer : nous voulons désigner l’essai de M. Morin sur l’Organisation du travail et l’avenir des classes laborieuses, et celui de M. Dupuynode sur les Lois du travail et les classes ouvrières. Toutefois ces deux livres sont moins exclusifs à l’égard du pouvoir social. Le premier surtout atteste un esprit de sage mesure ; l’auteur sait, en général, faire la part de l’individu et celle du gouvernement. Il apprécie sans aigreur les utopies et les paradoxes contemporains, et développe ses vues sans espérances désordonnées. M. Dupuynode cède avec plus d’entraînement aux inspirations de l’école à laquelle il appartient ; il se montre trop optimiste dans son plaidoyer en faveur de la concurrence. Il aurait mieux valu borner l’éloge à quelques grands traits, et, entrant plus profondément dans le mouvement auquel nous assistons, en discuter les démens divers, pour faire sortir d’une comparaison impartiale la supériorité éprouvée du principe de la liberté. L’agitation fomentée contre la concurrence ne saurait résister à une appréciation calme et méthodique qui ne s’arrête point aux apparences et sonde la réalité. Quel est en effet le caractère de cette agitation factice ? Se distingue-t-elle par la fécondité des vues, la variété des idées, l’abondance des découvertes ? Non, elle est essentiellement critique ; elle attaque, elle dénigre, elle condamne avec une insigne prévention et une partialité préconçue, et puis, quand elle veut s’affirmer elle-même et se produire, sa fougue aboutit à l’impuissance.

Nous n’entendons pas condamner en masse tous les ouvrages de critique économique. Quand des travaux de cette nature reposent sur des études sérieuses, quand ils restent dans les termes de la science, ils préparent les esprits à des distinctions, que les auteurs n’ont pas toujours faites, entre le mal qui tient aux imperfections de la nature humaine et celui qui dérive de lois arbitraires et transitoires, entre les changemens compatibles avec les conditions d’une société et ceux qui leur répugnent. C’est aux esprits politiques que revient ensuite la tache d’approprier les mesures aux besoins sociaux et de les mettre en harmonie avec des exigences souvent hostiles. On leur reproche, quelquefois avec justesse, d’être un peu lents et un peu timorés ; toutefois, s’il y a dans une idée une somme suffisante de raison, ils finissent toujours par l’accueillir, et ils la débarrassent de l’alliage qui souvent en compromettait le succès.

C’est en ce sens que le mouvement économique de notre époque n’aura pas été stérile. Il tient d’ailleurs l’attention publique éveillée sur un ordre de faits qui méritent de l’occuper. Si un bon régime industriel peut être aidé par certaines lois, par certaines institutions, il doit avant tout procéder des mœurs et s’appuyer sur les idées reçues. Or, l’influence que produit peu à peu