Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/870

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est digne de cette satire tudesque. Choisissez la plus grossière et la plus lourde, elle sera trop légère encore et trop élégante. Je supprime mille détails. Les atroces bouffonneries de l’opération ne sauraient s’indiquer même de la façon la plus lointaine et dans les termes les plus voilés. Détournons les yeux et ouvrons les fenêtres ; ce sera bien assez d’entendre ce dialogue. Or, le docteur a commence de creuser avec son instrument le cerveau et le cœur du Philosophe. « Ne vois-tu rien ? — Non, pas encore. — Qu’est-ce que cela ? — Un fragment de la logique de Hegel. — Et ceci ? — Un livre de Fichte. — Et ceci encore ? — Un chapitre de Kant. — Et cet autre fragment ? — Le système de Spinoza. — Et là ? – Jacob Boehme. — Et un peu plus au fond ? — La scolastique. — Quoi ! Rien ! s’écrie le Philosophe désespéré. Et mon enfant ! — Attends ; j’aperçois quelque chose ; le voici peut-être : les Quatre Ages du monde, philosophie positive. — Eh ! non, butor ! Ce n’est qu’une annonce. Lâche-moi ; ta pioche m’a déchiré le cœur. » Et le Philosophe se sauve en poussant des cris de honte et de douleur.

J’ai exposé, aussi complètement que l’honnêteté le permettait, cette scène odieuse, cette plaisanterie abominable. Il fallait que le lecteur devînt juge, et, qu’il sût jusqu’où peut s’emporter la haine dans ces satires barbares. Que vous semble de cet atticisme à coups de pioche ? Les deux hommes qui viennent d’être bafoués et outragés ainsi, ce poète envieux et ce fripon déguisé en philosophe, ce sont, ne l’oubliez pas, deux des noms les plus honorés de l’Allemagne présente Je les nomme, c’est M. Tieck et M. de Schelling. Tous deux ont rempli déjà une carrière longue et brillante. Si la gloire n’est rien, si l’Allemagne désormais renie ses maîtres, si les plus charmantes créations d’une poésie aimable et les plus éclatans travaux dans le domaine de la philosophie ne défendent plus les artistes et les penseurs, la vieillesse, à ce qu’il semble, devrait les protéger. Mais ne faisons pas à M. Tieck et à M. de Schelling l’injure de les défendre ; ne méconnaissons pas non plus l’Allemagne nouvelle au point de croire que ces énormités doivent y plaire, même aux plus furieux chefs des partis extrêmes. Quand Aristophane fit représenter les Nuées, Socrate n’eut qu’à paraître dans la salle, et la pièce tomba ; M. de Schelling n’aura pas même besoin de se montrer pour triompher de son adversaire. Que nous sommes loin de la Grèce, et que ces tristes parodies font de mal ! Platon nous a montré Socrate et Aristophane conversant sur l’amour au souper d’Agathon. Eh bien ! s’il y a quelque part à Berlin un Agathon hospitalier, s’il y a une table brillante où les plus ingénieux