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et de briser les entraves dans lesquelles son activité s’amollit et s’éteint. Au milieu d’un réseau de privilèges, on a fait de la marine une exception, c’est-à-dire qu’on l’a appelée à lutter en l’énervant ; elle porte la peine de ce triste régime. Puisque les autres industries ne veulent pas l’admettre au partage de leurs privilèges, qu’elles rentrent avec elle dans la voie de la liberté. Il n’y a de vérité que dans ce dernier moyen, et de justice que dans l’alternative.

Ces réserves nous mettent plus à l’aise pour indiquer ce qui, dans le projet actuel, nous paraît mériter un dernier et sincère éloge. En présentant une loi qui atteste le désir d’assurer à notre marine une situation digne d’elle et du pays, le ministre n’a pas seulement rempli un devoir vis-à-vis d’une arme à laquelle il appartient et qu’il a honorée ; il a fait encore un acte de courage. C’est triste à dire, et pourtant c’est ainsi. Tout ce qui ressemble à de l’initiative, à une attitude plus forte, a le privilège d’exciter ici des préventions, ailleurs de l’ombrage. Le bruit qui s’est fait en 1840 a rendu les oreilles si délicates, qu’on ne souffre plus rien de ce qui peut les blesser. On veut s’épargner jusqu’à l’ombre d’un reproche, d’une réclamation. Il faut savoir gré à M. de Mackau de ne pas s’être laissé arrêter par des scrupules pareils dans les propositions qu’il a soumises aux chambres. Avec plus de liberté, il eût sans doute entrepris davantage ; c’est déjà beaucoup qu’il ait pu montrer la volonté d’agir pendant qu’il n’avait autour de lui que des exemples d’inertie. En résumé, si le projet de loi dont les chambres sont saisies ne va pas jusqu’à la limite de nos besoins, s’il n’a pas toute la grandeur qu’on aime à rêver pour un pays comme la France, il a du moins, comparé à ce qui se fait, le caractère d’une heureuse exception. C’est un gage donné à l’avenir ; c’est un premier pas dans une voie meilleure.


LOUIS REYBAUD.