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Puis tous les grands vizirs, les sultans et les rois :
Meyerbeer, Spohr, Auber, Spontini, Mercadante,
Celui-ci modérant une cavale ardente,
Celui-là fredonnant sous un chapeau chinois
Dont tous les clochetons babillaient à la fois ;
Cet autre sur un bœuf à la masse imposante.

Je vis plus d’un lourdaud et plus d’un charlatan,
Comme bien vous pensez, en cette caravane ;
Un surtout me ravit : à son air de sultan,
Pour Beethoven lui-même on l’eût pris, Dieu me damne !
Mais sous le harnais d’or perçait l’oreille d’âne,
Et l’habit d’Arlequin sous le riche caftan…

L’auditoire enchanté porta ce beau finale
Aux astres, comme on dit en style d’opéra ;
On admira surtout la marche triomphale,
D’un motif héroïque et plein de bravura ;
Et, du haut jusqu’en bas, ce ne fut dans la salle,
Au tomber du rideau, qu’un immense hurra.

Bizarre fanatisme impossible à décrire !
Couronnes et bouquets, madrigaux, vers d’album,
Se mirent à pleuvoir sur le proscénium.
C’est un poison des cieux que distille la lyre !
Hommes, femmes, enfans, s’agitaient en délire ;
On eût dit à les voir des buveurs d’opium.

Aux acclamations d’un public idolâtre,
Neuf fois le maestro parut sur le théâtre,
Ramenant d’une main la reine de Saba,
De l’autre Salomon tout décoiffé déjà ;
Puis, lorsque tant de mains furent lasses de battre,
La rampe s’éteignit et le rideau tomba.

Beaucoup de bruit, puis rien ! des fleurs ! des fleurs encore !
Puis un quart d’heure après cette salle sonore
Demeure froide et vide, et tout s’est effacé.
Oh ! notre gloire humaine, étrange météore
Dont la trace s’éteint sitôt qu’il a passé !
Qui sait ? Le mieux peut-être est d’imiter Rancé.