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timidité déshonorent le roi. » C’est ainsi qu’il se servait de ses amitiés pour sa puissance, et peut-être de ses vertus pour sa faveur ; et quand l’esprit de domination, qui lui fit désirer jusqu’au dernier jour d’entrer dans le conseil, commandait des duretés contre un ami, dût cet ami être le duc de Beauvilliers, l’ame de son ame, dit Saint-Simon, sa main n’hésitait pas à les écrire.

Je n’aime pas mieux la politique de ses mémoires sur la guerre de la succession. Quel remède propose-t-il pour guérir tous les maux causés par cette guerre ? Qui le croirait ? L’abdication de Philippe V et une défaite sans ressources de la France. L’abdication de Philippe V, il veut qu’on l’exige ; la défaite sans ressources, il la désire. A la vérité, il en a quelque scrupule. « Ne croyez pas, écrit-il au duc de Chevreuse, que ce soit l’effet de l’indisposition du cœur d’un homme disgracié[1]. » Aussi insiste-t-il : « J’ai le cœur déchiré par nos malheurs, dit-il plus loin, mais mon fonds ne peut consentir à aucun succès. Je crois voir qu’un succès gâterait tout sans ressource. » Pourquoi ? C’est que le même succès qui relèverait la France relèverait aussi Louis XIV, et « qu’il n’y a que l’humilité et l’abus de la prospérité qui puissent apaiser Dieu. » Et il conseille le sacrifice de la Franche-Comté, des trois évêchés, de plus encore, s’il le faut, pour avoir la paix. « Nulle paix, dit-il, ne peut être que bonne à acheter très chèrement. » Et pourtant, dans la même lettre, il fait ce beau portrait de la France « Vous êtes comme le lion terrassé, mais la gueule ouverte, expirant et prêt à déchirer tout. » Oui, c’est le lion de la bataille de Denain, c’est le vieux roi Louis XIV déclarant qu’il aimerait mieux s’ensevelir avec sa noblesse sous les ruines de son royaume que de consentir à cette paix très chèrement achetée dont veut Fénelon.

Le prélat tient fort à ce mot : une paix heureuse, une paix supportable, comme celle d’Utrecht, laisserait à Louis XIV quelque gloire ; il la faut très chèrement achetée, c’est-à-dire par des cessions de territoire, et par le sacrifice sanglant de quelques membres de la France. Il y revient dans le Mémoire sur la manière de se conduire avec le roi, écrit à l’époque où de la royale famille dépeuplée par la mort il ne restait plus qu’un vieillard septuagénaire et un enfant. « Il faut, dit-il, rendre le roi très facile à acheter très chèrement la paix. » Il est une guerre pourtant, la seule que Fénelon permette et conseille même à Louis XIV : c’est la guerre aux ennemis personnels de l’archevêque

  1. Correspondance de Fénelon.