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nos armes. Quand on vint lui annoncer que la ville était prise, on le trouva jouant au volant, et sachant déjà la chose. La partie n’en fut pas interrompue.

On reconnaît dans les plus saillans de ces défauts l’effet de l’éducation qu’avait reçue le duc de Bourgogne. Cette piété sombre et minutieuse, ce trop de temps donné à la prière, ces scrupules, cette curiosité et ce mécontentement de soi, cet excès de raisonnement et cette peur d’agir, ces rêveries et cette poursuite de chimères, voilà tout le chimérique de la perfection impossible imaginée par son précepteur. Quant à ces excès de table et ces exercices physiques sans mesure, après la tristesse des retours sur soi-même et l’abus de la solitude, quoi de plus semblable à cet état glissant du quiétisme, où, au sortir des extases de l’amour pur, le corps s’abandonne à tous ses appétits ? N’est-ce pas l’effet de cette piété inaccessible qui ne souffre pas d’état intermédiaire entre l’extase et l’empire des sens ?

Fénelon ne s’étonnait pas qu’on l’accusât des défauts de son élève. « On dit, lui écrit-il, que vous vous ressentez de l’éducation qu’on vous a donnée[1]. » Mais, dans le même temps, ses lettres l’y enfonçaient plus avant, principalement sur l’article de la piété. « Allez à l’armée, lui écrit-il, non comme un grand prince, mais comme un petit berger avec cinq pierres contre le géant Goliath ; agissez continuellement dans la dépendance continuelle de l’esprit de grace ; soyez fidèle à lire et à prier dans les temps de réserve, et à marcher pendant la journée en présence de Dieu. » Après la prise de Lille, il le loue d’avoir dit, en parlant de son revers, ces aimables paroles : Hi in curribus, et hi in equis, etc., etc. Ailleurs, il l’engage à s’accoutumer à rentrer souvent au dedans de lui-même « pour y renouveler la possession que Dieu doit avoir de son cœur. » Six ans auparavant, voici ce qu’il lui écrivait : « Au nom de Dieu, que l’oraison nourrisse votre cœur, comme les repas nourrissent votre corps. Que l’oraison de certains temps réglés soit une source de présence de Dieu dans la journée, et que la présence de Dieu, devenant fréquente dans la journée, soit un renouvellement d’oraison. Cette vue courte et amoureuse de Dieu ranime tout l’homme, et calme ses passions. » Le prince qui recevait ces étranges conseils avait alors vingt ans, et devait être l’héritier de Louis XIV !

Il faut serrer les choses de plus près ; il faut placer chaque trait de

  1. Lettre du 25 octobre 1708.