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— « Mais je pense, mon cher, que vous êtes un maître,
Et que ce siècle-ci vous doit un monument.
Par la mort-dieu, qu’au fond vous semblez le connaître !
Comme musicien, je vous trouvais bien grand,
Illustre Coppola, tout à l’heure, et peut-être
Le philosophe en vous est-il plus surprenant.

« Et dire, ô maladroit, que pour un lunatique
Je vous prenais d’abord, quand vous m’avez parlé
De sorcier, d’alchimie et d’eau cabalistique,
De Mozart dans votre encre à Bellini mêlé ;
Mais ce n’était, je vois, que simple rhétorique,
Et de l’allégorie à présent j’ai la clé !

— « Rhétorique, monsieur ! je parle sans figure ;
Avouez-le tout net, vous ne me croyez pas.
N’importe ! vous serez convaincu, je le jure ;
Venez jusque chez moi, je demeure à deux pas.
D’ailleurs, la nuit est belle à courir l’aventure. »
Et, parlant de la sorte, il me prit par le bras.

Nous cheminâmes donc par l’ombre et le silence
Cinq minutes au plus, et bientôt au détour
Des jardins de l’hôtel du résident de France,
Dont les tilleuls en fleur embaumaient le faubourg,
Mon homme fit un signe, et s’arrêta tout court
Devant une maison de modeste apparence.

Au palais enchanté nous touchions, grace au ciel ;
Il sonna, nul ne vint d’abord à son appel,
Et lui, de résonner alors de main de maître.
Déjà son large front devenait solennel,
Quand nous vimes enfin s’éclairer la fenêtre,
Et sur les blancs rideaux une ombre disparaître.

On ouvrit, et soudain, non, jamais œil plus bleu,
Jamais lèvre plus pâle et plus décolorée,
Ne frappa mes regards ! Sur le pas de l’entrée,
Une enfant nous reçut, une vierge éthérée ;
Seize ans ! une ame prête à s’envoler vers Dieu !
La bougie en ses mains semblait un lys de feu.