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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/1013

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deux personnes d’une haute distinction, Mme de Staël et Benjamin Constant. Ces deux personnes préludaient à ce qu’elles devaient écrire sur l’Allemagne par des conversations piquantes et profondes où les derniers représentans du XVIIIe siècle apprenaient avec étonnement qu’il y avait d’autres opinions, d’autres théories que celles de Voltaire. Quelques années plus tard, la même femme qui avait publié Corinne concentrait dans un ouvrage éloquent les principaux traits de la civilisation et de la littérature allemandes. Plus sobre dans ses développemens sans être moins fécond en idées, Benjamin Constant fit précéder sa traduction de Wallenstein d’une préface où il sut déterminer, avec la précision la plus ingénieuse, les caractères distinctifs des deux théâtres de Racine et de Schiller. Bientôt on se mit à traduire les drames principaux de la scène germanique. Enfin l’Allemagne fut explorée sous le triple rapport de la philosophie, de la législation et de l’histoire. Une fois l’éveil donné à la curiosité de l’esprit français, il eut hâte de connaître tout ce qu’avaient fait nos voisins, qui, encore à la fin du dernier siècle, paraissaient bien attardés dans l’œuvre commune de la civilisation européenne.

Quand, il y a plusieurs années, M. Henri Blaze commença, dans ce recueil, de sérieuses études sur l’Allemagne, il voulut leur donner un fondement solide, et il se tourna vers Goethe. Il avait raison : Ab Jove principium. « Il y a des hommes, comme l’a fort bien dit M. Henri Blaze, en face desquels on ne saurait s’arrêter trop long-temps, car ils sont eux-mêmes un point de station dans l’histoire de la pensée humaine, car ils sont à la fois le but où tendait le passé, et le point d’où les générations nouvelles s’élancent vers l’avenir. » Sans doute, avant M. Henri Blaze, Goethe avait été l’objet de l’admiration réfléchie de tous ceux qui aiment la littérature allemande ; mais M. Blaze s’est assuré l’honneur d’avoir approfondi plus que personne ce grand sujet. Il a su embrasser la pensée de son auteur favori, tant dans les caractères généraux que dans les détails les plus intimes. Il en parle avec enthousiasme et avec une rare pénétration. Les faits particuliers, les épanchemens confidentiels qu’il recueille avec un habile discernement à travers la correspondance de Goethe, deviennent, sous sa plume, un commentaire excellent du génie du poète. Faust occupe dans les œuvres de Goethe la même place que Goethe dans la littérature allemande, c’est-à-dire la première. Il devait être l’objet des prédilections de M. Henri Blaze, qui n’hésite pas sur le caractère à lui assigner. « Le poème de Faust, dit-il, est le chant du naturalisme, l’évangile du panthéisme, mais d’un panthéisme idéal qui élève la matière jusqu’à l’esprit, bien loin d’enfouir l’esprit dans la matière, proclame la raison souveraine, et donne le spectacle si beau de l’hyménée des sens et de l’intelligence. » Le procédé poétique de Goethe, dans son œuvre de