Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/104

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’est plus une chasse au lion que nous menons en Afrique, c’est une chasse au renard.

Certes, quand on examine les circonstances de cette dernière période, en en mettant toutes les faces sous un jour complet, au lieu d’en placer un côté dans la lumière, un autre dans l’ombre ; si surtout on tient compte de cette multiplicité de buts de rechange qui se trouvent disposés en relais dans toutes les directions autour d’Abd-el-Kader, et sur chacun desquels il peut se replier à défaut d’un autre qu’il manque, sans que jamais il paraisse dérouté, on reconnaîtra que toute cette suite d’événemens n’est pas un tissu continu de mécomptes pour les Français, de succès pour l’émir ; il est permis de croire que, malgré toutes les fautes qu’on a imputées aux premiers, tous les triomphes qu’on a prêtés à ce dernier, celui-ci touche à un temps d’éclipse, et ceux-là au contraire à une phase claire et calme.

En Afrique plus qu’ailleurs, c’est une tâche bien compromettante que de parler de l’avenir, je ne dis pas du grand, mais du plus petit. À travers tant d’individualités fortes et résistantes qui font saillie parmi les Arabes, tant de caprices qui y font loi, un fait dont on veut étudier la marche a des rejaillissemens suivant des angles et à des portées qu’on ne peut calculer d’avance. Il est probable que les ressorts qui poussaient et soutenaient. Abd-el-Kader dans toutes ces courses prodigieuses sont usés, et vont le laisser tomber pour un temps dans le silence et l’obscurité ; mais qu’on se garde d’agrandir l’importance de ce résultat comme on a grossi dans un sens constamment défavorable à notre situation tous les actes de la dernière campagne, les nôtres comme ceux de l’ennemi ! C’est surtout à l’occasion de l’Afrique qu’il est bon de dire avec Démodocus : Prions les dieux qu’ils éloignent de nous l’exagération qui détruit le bon sens. Au sujet d’un pays nouveau, il faut se défendre avec un soin scrupuleux des grandes espérances et des grands découragemens, surtout il faut se méfier de ces faux prophètes qui viennent chatouiller les secrètes faiblesses de la nation en lui annonçant comme prochaine la satisfaction de ses désirs relativement à la pacification et à la colonisation de l’Afrique, et en lui présentant les difficultés du passé et du présent comme de pures conséquences d’une méprise, d’un malentendu. Dans une tâche extrêmement multiple et complexe, la simplicité des moyens proposés est un des signes les plus certains d’insuffisance. Dès qu’on verra la sécurité rétablie et Abd-el-Kader hors de scène, on croira que tout est terminé ; quand ensuite on aura changé quelques personnes, adopté quelques nouveaux systèmes et créé quelques nouveaux emplois, on se persuadera qu’on a pourvu à tout. On oubliera que le principal obstacle à une pacification vraie, c’est que les Arabes sont les Arabes, et à une colonisation sérieuse, c’est que les