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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/1075

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si fort de l’avenir de notre société politique ; il est dur cependant, pour ceux qui l’aiment, d’en voir les premiers principes dénaturés si souvent par ceux qui en ont la garde. Les paroles de M. Guizot, dans la controverse qui agitait la chambre à la fin du mois dernier, ont produit une impression pénible, et cette impression a redoublé chez nous, quand nous avons vu les récens débats du parlement anglais. Certes, nous redouterions un peu qu’un ministre jetât son parti dans une impasse dont il voulût à lui seul garder la clé, suivant le reproche expressif qu’on adresse à sir Robert Peel de l’autre côté du détroit ; ce sont là les suprêmes effets du vote de confiance, c’est la tension la plus rigoureuse d’un régime vraiment parlementaire ; mais qu’un ministre vienne à la tribune abdiquer sa responsabilité en se défendant en quelque sorte d’avoir un avis propre, en se réduisant au rôle de truchement légal entre la couronne et les chambres, en plaçant face à face ces deux irritables pouvoirs au lieu de leur éviter toute espèce de contact pratique, voilà ce qui confond dans un homme aussi savant en matière constitutionnelle que l’est M. Guizot. La couronne voudra de son côté, les chambres voudront du leur ; le ministre tâchera de les accommoder. Est-ce là le vrai ? est-ce là le sûr ? Comment M. Guizot, qui a écrit l’histoire de la révolution d’Angleterre, a-t-il pensé justifier sa théorie par l’exemple de la royauté anglaise ? Ce n’est pas la royauté moderne qu’il est allé chercher, c’est la royauté de 1648, celle des romans de M. Disraëli, celle de ces beaux esprits qui soupirent après la vieille constitution, méprisent de tout leur cœur le gouvernement parlementaire, et réclament le gouvernement de la reine en son conseil privé. La royauté d’à présent est une institution toute différente de celle que M. Guizot imagine ; il nous permettra d’en croire là-dessus le duc de Richmond plus que lui. L’autre jour, lord Dalhousie disait à la chambre haute que les bons effets d’une première réduction sur les droits de douane avaient engagé les conseillers de sa majesté à lui proposer de recommander une réduction nouvelle dans le discours du trône. Le duc de Richmond, qui n’est pas, que nous sachions, un ennemi personnel de sa majesté britannique, se leva pour dire qu’il regrettait le langage de son honorable ami ; qu’il n’était point constitutionnel de faire usage du nom de la reine de cette manière-là, qu’il ne connaissait point le discours de la reine, mais seulement le discours des ministres. Lord Dalhousie se récria contre une si fâcheuse interprétation. Voilà ce qu’on appelle en Angleterre couvrir la royauté ; c’est pourquoi l’on s’y contente de prendre les régicides pour des fous.