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même remarque s’appliquerait toutefois aux deux manières. Saint François de Sales ne se hasardait jamais à dire d’une femme qu’elle était belle, il se contentait de dire qu’elle était spécieuse : mot charmant et prudent qui se pourrait détourner sans effort pour qualifier le genre de beauté propre à cette poésie séduisante.

Mais à quoi bon repasser tout à côté sur ce que M. Vitet a touché avec tant de supériorité et d’aisance ? Un bon sens élevé, éloquent, règne dans tout ce discours si bien pensé et si littéraire par l’expression comme par l’inspiration. Le nouvel académicien a fait preuve de tact comme de reconnaissance dans l’hommage qu’il a trouvé moyen de rendre à la mémoire de M. Jouffroy. C’est à lui en effet que M. Vitet se rattache de plus près dans le mouvement qui poussait, il y a plus de vingt ans, les jeunes hommes d’alors, comme ils s’appelaient, dans des voies d’innovation studieuse et de découverte. En ce premier partage des rôles divers qui se fit entre amis, selon les vocations et les aptitudes, M. Vitet eut pour mission d’appliquer aux beaux-arts les principes de cette psychologie qui venait enfin, on le croyait, d’être rendue à ses hautes sources : qu’il parlât musique, qu’il traitât d’architecture surtout, comme plus tard de peinture, il multiplia et fit fructifier en tous sens la branche féconde. En fait d’architecture, il a été l’un des premiers chez nous qui ait promulgué des idées générales et produit une théorie historique complète de génération pour les époques de moyen-âge : sur ces points-là, bien des notions, aujourd’hui vulgaires, viennent de lui. Le chapitre littéraire à part qu’il mérite dans l’histoire de ces années, nous espérons bien le lui consacrer à loisir ; mais aujourd’hui, c’est un peu trop fête pour cela, et il y a trop de distractions alentour. Ce qui l’a distingué de bonne heure, ç’a été le talent de généraliser et de peindre les idées critiques ; il y met dans l’expression du feu, de la lumière, et une verve d’élégante abondance. Son morceau sur Lesueur doit se classer en ce genre comme le chef-d’œuvre de sa maturité. Quant à ses Scènes de la Ligue, elles eurent leur à-propos et leur hardiesse dans la nouveauté, et elles ont gardé de l’intérêt toujours. La censure d’alors interdisant au drame tout développement historique un peu vrai et un peu profond, on se jeta dans des genres intermédiaires, on louvoya, on fit des proverbes et des comédies en volume ; c’est ce qui s’appelle peloter en attendant partie : je ne sais si la partie est venue, ou plutôt je sais comme tout le monde qu’au théâtre elle n’a pas été gagnée. M. Vitet, au reste, se hâtait de déclarer, à l’exemple du président Hénault, qu’il ne prétendait nullement faire œuvre de théâtre ; il ne voulait que rendre à l’histoire toute sa représentation exactement présumable et sa vivante vraisemblance. Ce genre-là, tel que je me le définis, c’est une espèce de vignette continue qui règne au bas du texte, et qui sert à illustrer véritablement le récit. Le président Hénault et Roederer l’avaient déjà tenté ;