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des flancs de cette symphonie stérile. Hélas ! nous le disons avec regret, moins heureux que le peuple juif, le Chanaan tant souhaité nous a manqué, et nous avons dû traverser encore la marche des Hébreux, la prière et le chant de gloire qui sert de conclusion à l’œuvre, sans voir apparaître la colonne de feu dont les amis de l’auteur du Désert nous avaient pour cette fois annoncé la venue. Aussi quelle stupeur après le dernier coup d’archet ! quel découragement immense dans cette foule condamnée au silence et remportant son enthousiasme ! On raconte qu’à la première représentation de l’opéra du Jeune Henri, de Méhul, le parterre, mécontent de l’ouvrage, fit baisser la toile et redemanda l’ouverture, qu’il avait d’abord applaudie avec transport. Peu s’en est fallu que l’aventure ne se renouvelât l’autre soir, et j’ai vu le moment où l’assemblée allait demander le Désert, tant le besoin possédait tout ce monde, accouru là sur la foi d’un nouveau succès, de marquer, après comme avant, ses vives sympathies à cette intéressante renommée, et de la rassurer contre les tristes conséquences d’un échec que, sans aucun doute, elle n’eût point encouru de son plein mouvement, et dont, nous voulons l’espérer, elle se relèvera bientôt.

Voilà les Italiens partis. A Dieu ne plaise que nous songions à leur courir après ! non que nous ressentions à leur égard des sympathies moins vives ; mais chaque année, vers cette époque, il se fait un tel déploiement de richesses musicales, qu’on finit par ne plus savoir comment s’y soustraire. Que dirait-on d’un feu d’artifice qui se prolongerait des semaines entières ? C’est pourtant ce qui d’ordinaire se passe chez nous au mois de mars : les fusées de notes se succèdent sans intervalle, les bouquets s’épanouissent incessamment, et comme les italiens sont l’ame de toute musique, comme il n’y a pas de réunion sans eux, il en résulte qu’on ne peut faire un pas sans les trouver. L’autre jour on chantait le Stabat à deux heures ; le soir il y avait spectacle et peut-être encore concert après le spectacle. On l’avouera, de pareils excès ne répondent guère à l’idée qu’on a des ménagemens qu’exige la voix. Aussi l’exécution du chef-d’œuvre sacré de Rossini a-t-elle beaucoup souffert. La Grisi paraissait épuisée de fatigue, ses cordes hautes sonnaient péniblement, et, dans l’admirable verset de l’Inflammatus qu’on lui a redemandé néanmoins, elle est restée beaucoup au-dessous d’elle-même. En revanche, je mentionnerai M. Dérivis, qui, chargé de la partie de baryton, a su tenir tête aux souvenirs dangereux de Tamburini, et triompher, à la veille de son départ, des froideurs d’un public qui peut-être se reprochera de ne pas lui avoir rendu toute justice dans le cours de la saison. N’importe ; malgré les efforts estimables de M. Dérivis, malgré la suave pureté de la voix de M. de Candia, cette glorieuse musique du Stabat, chaudement colorée à la manière de ces tableaux religieux de l’école vénitienne, le chef-d’œuvre sacré, disons-nous, n’a pas produit son effet accoutumé, et le tort en revient à ces nécessités d’une fin de saison qui, en multipliant les travaux, épuisent à la longue les forces et les courages. Il est vrai d’ajouter que le surlendemain la belle Giulia recouvrait toute sa vaillance au concert de Mme la comtesse Merlin. Était-ce la musique de Verdi qui rendait ainsi en un moment l’éclat de sa vibration, la métallique sonorité de son timbre d’or, à cette voix mondaine créée pour chanter le drame des passions, ou n’était-ce pas plutôt l’influence de ce salon qui semble avoir le privilège d’évoquer tant de merveilleux souvenirs ? La Malibran, la Sontag, Bellini, Mercadante, Rossini lui-même, tous ceux qui