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dépens des ligueurs. Toutefois la langue française n’était pas encore un idiome européen : elle ne conquit un empire universel que par les chefs-d’œuvre qui se multiplièrent depuis la dictature du cardinal de Richelieu jusqu’à la vieillesse de Louis XIV. Au milieu du XVIIe siècle, c’était encore en latin que les débats religieux et politiques se vidaient. Quand l’héritier de Charles Ier voulut, après la mort tragique de son père, accroître encore et propager l’indignation excitée par cette catastrophe, il s’adressa au plus célèbre érudit du temps, à Saumaise, que toutes les universités de l’Europe avaient disputé à la France, et qui avait accepté à Leyde la succession de Scaliger. Saumaise se trouva comme accablé de l’honneur que lui attirait sa réputation. Ni ses travaux sur l’anthologie grecque, ni ses commentaires sur les écrivains de l’histoire auguste, ni ses excursions dans la philologie orientale, ne l’avaient préparé à un des plus graves débats que pouvait élever la controverse politique. Toutefois il ne recula pas devant une tâche si nouvelle pour lui, et, dans la même année où Charles Ier avait été frappé, il fit paraître un livre intitulé : Defensio regia pro Carolo I ad serenissimum Magnoe-Britanniœ regem Carolum II filium natu majorem, hoeredem et successorem legitimum. Nous disons un livre, car Saumaise, dans un énorme factum, a entassé tout ce qu’il savait, tout ce qu’avaient pu lui fournir les Écritures, les Grecs, les Romains et les Pères de l’Église. C’est l’érudit qui parle, et non pas l’homme. Pour exprimer son indignation au sujet du régicide commis le 30 janvier 1649, il ne trouve que des citations, vox faucibus hoesit ; Londres, après la mort du roi, avec son oligarchie révolutionnaire, lui rappelle Athènes avec ses trente tyrans. Puis il procède comme dans une dissertation ; il commence par établir l’atrocité du fait en lui-même ; il arrive aux questions de droit, et il nie compendieusement que des sujets puissent jamais juger et condamner leur souverain. Il s’attache ensuite à démontrer que le roi d’Angleterre avait sur ses sujets les mêmes droits que tous les autres monarques. Enfin, après avoir établi que Charles Ier ne pouvait être jugé par aucun tribunal, il cherche dans sa vie et dans son règne les preuves non plus de son inviolabilité, mais de son innocence. Saumaise avait proclamé au début qu’il plaidait cette cause devant l’univers entier, et il termine en disant qu’il l’a prise en main, non-seulement parce qu’il y a été invité, non tantum quia rogatus, mais parce qu’il n’en connaît pas de plus juste ; il a obéi à sa conscience, à la vérité. L’ouvrage n’était pas bon, mais le sujet était si grand, et l’auteur si célèbre, que tout ce qui lisait du latin en Europe prit connaissance de l’indigeste production de Saumaise. Par les mains d’un érudit se trouvait érigé le tribunal de l’opinion que Pascal, quelques années plus tard, devait appeler la reine du monde. Citée à ce tribunal, l’Angleterre républicaine ne voulut pas faire défaut.

Cette fois c’était la passion la plus vraie qui parlait. Il était impossible