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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/187

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résolurent de se charger du gouvernement. Cette détermination fut notifiée à la reine le 18. Quelles que fussent les difficultés de l’entreprise, les whigs avaient confiance dans la justice et l’opportunité du rappel des corn-laws, et ils espéraient que tous ceux qui étaient de leur avis ne leur feraient pas défaut, à quelque parti qu’ils appartinssent. Le lendemain, lord John Russell se mit donc à l’œuvre, et procéda à la distribution des divers départemens de l’administration. C’est là que l’attendait un fâcheux mécompte.

Lord Grey, à qui avait été destinée une des places les plus importantes du cabinet, refusa son adhésion à la nouvelle administration, si lord Palmerston était chargé des affaires étrangères. Plusieurs des amis de lord John Russell avaient déjà fait la même objection, mais seulement comme mesure de précaution et pour prévenir les clameurs de la malveillance. Tout en reconnaissant que lord Palmerston avait été calomnié quand on l’avait représenté comme le partisan d’une politique belliqueuse, ils eussent préféré qu’on lui confiât un autre département. De son côté, lord Palmerston tenait d’autant plus à être à la tête des affaires étrangères, qu’il a, dit-il, à cœur de prouver qu’il a été mal jugé. Les véritables intentions de lord Palmerston sont si parfaitement connues, qu’elles ne sauraient être mises en doute par qui que ce soit, et encore moins par lord Grey, son ami de tous les temps. Cette exclusion était d’autant plus surprenante de sa part, qu’il savait bien qu’après tout on ne pouvait pas se passer de la coopération de lord Palmerston, et que ni lord John Russell ni ses futurs collègues ne consentiraient à le sacrifier à aucun prix.

En voyant lord Grey soulever si tardivement une difficulté si grave, on a soupçonné qu’il y avait été poussé par un motif peu honorable. Lord Grey, dit-on, aurait seulement voulu empêcher lord John Russell de composer son cabinet. Bien des gens affirment, et je les crois sans peine, que, depuis huit jours que lord John Russell avait eu sa première audience de la reine, aucune ouverture n’avait été faite à lord Grey. Sans doute, lord John Russell et ses amis redoutaient, dans leurs conférences si délicates, l’influence de l’humeur inquiète et difficile de lord Grey, dont ils ont eu tant de fois à souffrir les caprices au pouvoir et dans l’opposition. Quelle que soit la cause de cette négligence, lord Grey en aurait été blessé et aurait voulu se venger. Dans toute autre conjoncture, le choix entre lord Grey et lord Palmerston eût été bientôt fait, et lord John Russell a nettement déclaré dans la chambre des communes qu’il eût sans hésiter sacrifié le premier ; mais dans la situation un tel parti était impraticable. En présence de la majorité, de la mauvaise foi de sir Robert Peel, de la chambre des lords, dont l’hostilité n’était pas douteuse, et dans le sein de laquelle l’autorité, les talens oratoires de lord Grey étaient si nécessaires, était-il prudent de s’engager