Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

imprévus pour jouer et battre tout ensemble et ses ennemis et ses adversaires ; qu’outre cette passion du pouvoir qui l’a mis à des épreuves si humiliantes et qui lui ont si peu coûté, il est dévoré du besoin de se venger, et qu’il veut à tout prix faire payer par de cruelles représailles les outrages dont il a été accablé. Tout cela est parfaitement vrai, plausible même, mais ce sont des raisons de diplomate, et, vous le savez, les diplomates tiennent rarement compte, dans leurs calculs, de l’opinion publique et des passions. Ne vous laissez donc pas abuser par ces présomptueuses assurances. Voyez les faits, et tirez-en les conséquences les plus naturelles sans tant subtiliser. Il y a un terme à tout ; il n’est pas donné à un homme si adroit, si habile qu’il soit, de conjurer long-temps les vengeances de deux grands partis.

Néanmoins j’admettrai volontiers que sir Robert Peel ne se laissera pas bénévolement arracher le pouvoir ; que, sentant la profondeur de l’abîme où il va tomber, il se débattra avec vigueur et luttera jusqu’au bout contre l’arrêt fatal. La plus simple réflexion suffit pour démontrer qu’il a épuisé toutes ses ressources, et, si vous voulez bien me prêter encore quelques momens d’attention, vous verrez qu’il lui reste peu de chances de salut.

Sir Robert Peel peut dissoudre la chambre. Tout porte à croire cependant qu’il n’aura pas recours à ce parti, dangereux et pour lui et pour la tranquillité publique. S’il est sage, il hésitera à porter le débat, aujourd’hui renfermé dans l’enceinte élevée du parlement, sur le terrain brûlant des hustings. Il ne doit pas ignorer que, si la victoire restait à la cause de la liberté du commerce, il ne pourrait guère en profiter, et que les whigs recueilleraient à son détriment le fruit d’une lutte pour laquelle ils ont, il y a cinq ans, perdu le pouvoir. D’un autre côté, si, par cette pente à la réaction qui accompagne toujours, en Angleterre, les grandes réformes, les protectionistes triomphaient, sir Robert Peel sait mieux que personne qu’il n’a rien à attendre d’eux. Sir Robert Peel n’en appellera donc pas au pays, car la réponse du pays ne saurait lui être favorable.

Un instant, on a espéré que, grace à la fusion qui s’est opérée dans les opinions entre une partie des conservateurs et les whigs, une coalition pourrait se former. Une telle combinaison serait en effet fort avantageuse aux uns et aux autres. Sir Robert Peel, avec ses 112 voix, donnerait aux whigs la majorité qui leur manque, et ceux-ci à leur tour, en consentant à partager le pouvoir, sauveraient les conservateurs restés fidèles à leur chef de la ruine qui les menace par suite de leur récente conversion aux principes libéraux. Malheureusement pour ces derniers, cette combinaison est devenue à peu près impossible. Les whigs ne se soucient nullement de partager le gouvernement avec leurs rivaux, dont, après tout, ils ne croient pas avoir besoin, et sir Robert