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pût aborder. Il fallait donc, du point où il était parvenu, se diriger en droite ligne vers cet asile. José Juan ne sembla d’abord pas deviner cette intention, car, au lieu de suivre cette ligne droite, il agrandit l’espace qui le séparait de son antagoniste en remontant le canal. Celui qu’il poursuivait le regardait avec anxiété, et redoublait d’efforts, mais il avait probablement à lutter contre un courant rapide, car son canot dérivait sensiblement. Celui de José Juan, au contraire, après être parvenu au sommet de l’angle qu’il avait décrit, se dirigeait en diagonale, avec une apparente facilité, de manière à gagner la crique avant le fugitif. Ce point décidé, ce n’était plus qu’une lutte de temps qui devait avoir lieu entre les deux adversaires, lutte dans laquelle José Juan avait tout l’avantage du courant produit par le resserrement des deux îles.

— Allons, dit le capitaine, ce drôle n’a plus qu’à se laisser prendre au lieu de se fatiguer inutilement.

Soit découragement, soit lassitude, le pauvre diable dont parlait le capitaine ne ramait plus qu’avec mollesse, et se retournait de temps à autre pour juger des progrès que faisait son persécuteur. Au moment où celui-ci, que chaque coup d’aviron rapprochait rapidement, était sur le point de l’atteindre, il parut prendre un parti désespéré, et, abandonnant ses rames, il monta sur l’avant du canot et regarda l’eau avec attention.

— Il est fou, s’écria le capitaine, ou la peur lui trouble l’esprit, s’il espère échapper, en se jetant à la mer, au meilleur plongeur de toutes ces côtes.

C’était cependant la seule chance de salut qui lui restât. En effet, la nuit allait venir. Les eaux se teignaient déjà d’une couleur plus sombre ; quelques minutes encore, et il se dérobait à son ennemi à la faveur de l’obscurité du ciel et de la mer, en supposant toutefois que le motif de sa fuite fût assez grave pour lui faire affronter les requins qui foisonnent dans toutes les mers de la zone torride. Malheureusement il n’y avait pas une minute à perdre, car, grace à la vigueur avec laquelle José Juan faisait avancer son canot, en quelques coups d’aviron il allait se mettre bord à bord avec le fugitif ; celui-ci le sentit sans doute, car il s’élança la tête la première, et les flots, un instant séparés, se refermèrent au-dessus de lui. Ce fut au tour de José Juan de lâcher ses avirons et de se tenir debout à l’avant de sa barque. Il tenait d’une main un de ces filets qui servent aux plongeurs à rapporter les coquillages qu’ils détachent des bancs de rochers, et de l’autre une corde assez longue. Après un instant d’hésitation, lâchant le filet et gardant la corde, il disparut à son tour sous l’eau, tandis que les deux canots, abandonnés au courant, allèrent se heurter bord contre bord.

Les rochers de l’île de Cerralbo s’étaient garnis de curieux qui sui-