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(racheteurs) se transportent également au buceo (pêcherie) pour racheter aux plongeurs la part de bénéfice qui leur est payée en perles. Puis d’autres spéculateurs de bas étage arrivent en foule pour ouvrir des tendajos (cabarets) ou des casas de partida (maisons de jeu). Comme la saison de la pêche des perles est aussi celle de la pêche des tortues à écaille, qui attire de nombreuses flottilles à Cerralbo et Espiritu-Santo, une population flottante et nomade de deux à trois cents habitans se trouve subitement réunie dans ces deux îles désertes pendant dix mois de l’année. À peine arrivés, les pêcheurs réparent les huttes de la campagne précédente, au besoin ils en bâtissent de nouvelles, et la campagne commence.

Les barques disposées pour la pêche contiennent les rameurs et les plongeurs. Ces derniers se jettent à l’eau alternativement, c’est-à-dire que, pendant que l’un plonge, l’autre se repose. Une corde au bout de laquelle est attachée une assez grosse pierre, et qu’ils tiennent entre l’orteil et les doigts du pied, leur sert à plonger avec plus de rapidité. L’autre bout de la corde, attaché au canot, les aide à remonter plus facilement, quand leur poids s’est augmenté de celui des coquillages qu’ils vont détacher sur les roches à dix et douze brasses de profondeur. Ces coquillages remplissent un filet que les plongeurs portent devant eux comme un tablier. Il n’est pas rare de voir ces hommes rester jusqu’à trois et quatre minutes sous l’eau, après quoi ils remontent brisés de fatigue, ce qui ne les empêche pas de plonger ainsi dans une matinée quarante ou cinquante fois. Les meilleurs plongeurs sont en général les Indiens Hiaquis, qui vivent sur les bords de la rivière de ce nom, près de Guaymas. Ce sont eux qu’on emploie de préférence, à cause de leur intrépidité et de leur adresse. Bien que les requins se réunissent en grand nombre auprès de ces pêcheries, comme dans tous les endroits fréquentés de ces parages, les Hiaquis plongent dans ce terrible voisinage avec une audace qui fait frémir, surtout si l’on considère la seule arme qu’ils aient à leur disposition. C’est un morceau de bois dont les deux extrémités sont aiguisées et durcies au feu ; cette arme grossière, qu’ils portent à la ceinture de leur caleçon de cuir, s’appelle estaca. On sait que, par la conformation de sa mâchoire inférieure, le requin, pour saisir sa proie, est obligé de se retourner ; c’est ce moment qu’ils choisissent pour enfoncer le pieu dans la gueule de leur ennemi, dont les mâchoires dès-lors ne peuvent plus se rejoindre. Un seul genre de requin, la tintorera, met en défaut le courage des Hiaquis, et leur fait éprouver cette horrible angoisse que cause aux autres hommes la vue d’un requin ordinaire.

Chaque soir, on amoncelle et on parque sur le rivage les huîtres qui ont été arrachées des rochers, et là, sous la garde spéciale des capataz, ou chefs des corporations, on les laisse s’ouvrir par la putréfaction, que