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il s’agit de publier quelques reliques de l’antiquité. Dans le nombre se trouvaient cent vingt-trois fables en vers choliambiques tirées d’un manuscrit du Xe siècle où elles étaient attribuées à un certain Balebrius. On y reconnut les fables de Babrius, dont jusqu’ici, au grand regret des érudits, nous n’avions guère que des fragmens épars dans le lexique de Suidas. Cinq seulement (et, par parenthèse, des meilleures) nous étaient parvenues dans leur intégrité. Toute l’attention devait se porter sur cette partie de la découverte. On négligea le reste, et aussi bien le reste ne valait pas l’honneur d’être nommé. Il est malheureusement trop certain, et la mission de M. Minas en a fourni une nouvelle preuve, que le temps des grandes découvertes philologiques est passé. A moins qu’une bonne fortune, de jour en jour moins probable, ne vienne nous révéler un nouvel Herculanum, ou ne nous fasse apercevoir sur quelque vieux parchemin, au travers de caractères plus modernes, les traces encore distinctes d’une première écriture, il n’y a plus de chefs-d’œuvre à ressusciter, plus d’édition princeps à faire. Il faut bien que la science en prenne son parti ; est-ce notre faute, après tout, si nous sommes venus trop tard ? Avec beaucoup de patience et un peu de bonheur tout ce qu’on peut faire encore, c’est d’arracher à l’oubli quelques lambeaux, de glaner après la moisson quelques gerbes égarées. Si mince que soit la récolte, les savans l’accueillent toujours avec transport, tant est puissant l’intérêt qui s’attache à ces faibles débris en raison même de la mutilation du texte, des dangers qu’il a courus, du hasard qui nous l’a conservé ; habent sua fata libelli. Ainsi l’ouvrage que le Byzantin Jean Lydus écrivit au temps de Justinien sur les magistratures romaines s’est trouvé au fond d’un tonneau de vin de Grèce ; quelques lignes du jurisconsulte Ulpien ont été déchiffrées sur le parchemin d’une vieille reliure ; Babrius enfin, ce même Babrius qui, de compte fait, a eu déjà huit éditions en un an, moisissait dans un coin de la bibliothèque du couvent de Laura[1] au mont Athos, où il servait de pâture aux rats depuis un temps immémorial.

Aussi, grande fut l’attente, l’impatience même des doctes, à la nouvelle de cette trouvaille. On allait connaître enfin ces fables tant regrettées qu’Herder et Bentley mettaient par avance bien au-dessus de Phèdre, dont Bentley, Tyrwhitt, Coray et tant d’autres avaient ramassé à grand’peine les membres épars, ces vers élégans qui se laissaient encore deviner sous la prose barbare et inintelligente des compilateurs byzantins. La publication du manuscrit était une affaire nationale ; le prince de nos hellénistes, M. Boissonade, en fut chargé, et au mois d’octobre 1844

  1. Laura et non Sainte-Laure. Laura, dans les auteurs ecclésiastiques du moyen-âge, signifie une réunion d’anachorètes, vivant dans des cellules séparées, sous la direction d’un abbé. Laurites veut dire un moine. Sancta Laura est tout simplement le saint monastère, le monastère par excellence. (Voyez les glossaires de Ducange).