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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/312

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féminins de son pays. Qu’il était radieux alors, vers 1816, cet ingénieux poète, lorsqu’il tourmentait le régent de ses épigrammes et les puritains de ses saillies érotiques, quand les salons whigs ne juraient que par lui, lorsque sa vivacité pétillante faisait les délices des trois royaumes et la désolation des tories ! Depuis Sheridan et Swift, on n’avait pas tiré de plus charmant feu d’artifice irlandais. Biddy Fudge, l’héroïne du Fudge Family, la jeune fille qui va visiter le continent et rend compte de ses impressions à ses amies, est, en vérité, un délicieux personnage. L’admirable admiration de toutes choses ! la belle naïveté ! comme elle se croit obligée de coucher sur le papier, et « par le menu, » le numéro de son fiacre et les yeux noisettes du commis de magasin qu’elle prend pour le roi de Prusse ! Moore eût fait d’excellentes comédies. Cette jolie parodie de la voyageuse anglaise, Biddy Fudge, chroniqueuse puérile et tout ébahie des misères et des conquêtes qui lui adviennent, a bien laissé quelques traces, il faut le dire, dans les cinquante-deux volumes que j’ai parcourus, et il ne tiendrait qu’à moi d’être injuste et de faire de ces dames autant de Biddy Fudge. Chevalier anglais, soyez courtois comme moi ; il ne faut point, même en un temps démocratique, mal parler des femmes et des sœurs d’autrui ; partout on doit ménager, c’est de bon goût, et traiter avec politesse ce que l’Arioste appelle si bien :

La schiera gentil, che pur adorna il mondo.

Plus équitable que vous, et vous pardonnant une injustice que réfutent suffisamment la puissance, la vivacité et la netteté d’intelligence dont Mme de Staël, Mme Roland, Mlle de Staël et tant d’autres ont donné d’assez grandes preuves, et dont aujourd’hui même les exemples sont éclatans, nous ne ferons pas payer vos fautes à vos voyageuses. Elles ne sont pas toutes également bonnes à suivre, il est vrai ; cependant, en s’attachant à leurs ailes et en suivant leur essor, on obtient sur le monde actuel de curieux renseignemens ; elles peuvent fournir une vue piquante du monde aperçu à vol d’oiseau. Les moins bien douées ont un instinct naïf et l’amour du vrai, associé au besoin d’émotions qui distingue leur sexe. Aussi le miroir, ou plutôt les miroirs qu’elles nous présentent, alors même qu’ils manquent d’éclat ou de relief, conservent-ils une fidélité agréable où se révèlent beaucoup de particularités curieuses. En dehors de quelques recherches érudites et de quelques petites affectations de beau style, il y a là mille traits heureux et charmans ; frappées des choses extérieures et facilement émues, elles déroulent et déploient le monde tel qu’il est, sans philosophie abstraite ou prétentieuse. C’est une lanterne magique qui n’offre guère que les aspects superficiels et les couleurs les plus apparentes des objets, mais d’où ressort un enseignement grave. Parmi elles, comme nous l’avons dit,