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ne l’est plus ; il ne veut maintenant d’autre religion que le culte de la France ; il ne reconnaît aujourd’hui que l’incarnation de 89, et Dieu n’a plus d’autre autel que l’autel de la patrie. Voilà une révélation négative des plus singulières. M. Michelet affirme que l’homme est surtout corrompu par la famille : cela n’est pas plus nouveau que vrai ; c’est une des propositions connues de certains socialistes. Enfin il n’est guère d’idée erronée, de paradoxe du livre de M. Michelet que nous ne puissions restituer aux véritables propriétaires.

La forme sauve-t-elle le fond ? Si M. Michelet n’a voulu que prendre note des pensées très vagues qui lui ont traversé l’esprit à propos de toutes les questions auxquelles il a touché, nous conviendrons avec plaisir qu’il nous a déroulé une succession parfois assez piquante de sentimens et d’images. Naïveté, ironie maladive, détails intimes, formules ambitieuses, lieux communs dégénérant en mensonges à force d’exagération, tout cela forme un chaos devant lequel l’esprit éprouve les impressions les plus contraires. Au moment où la raison est choquée, voici un élan d’ame qui vous remue, un trait d’imagination qui vous charme ; parfois aussi on croirait sentir des larmes dans les phrases entrecoupées et amères qui éclatent et retombent en pathétiques exclamations. Cependant M. Michelet proclame qu’il écrit pour le peuple. De bonne foi, que pourra comprendre et conclure l’homme du peuple en lisant péniblement l’ouvrage qui lui est destiné ? Saura-t-il s’il doit aimer la civilisation ou la haïr, quand il verra l’auteur gémir sur la disparition des sauvages de l’Amérique, sur le sort des Indiens Ioways, de ces races héroïques qui, selon M. Michelet, laissent une place vide dans le globe, un regret au genre humain ? Dans le monde de l’industrie, que faut-il penser des machines ? L’auteur les maudit, et cependant il reconnaît dans une note qu’elles sont nécessaires. Lequel vaut mieux, pour un pays, d’être pauvre ou d’être riche ? L’auteur fait presque un crime à l’Angleterre de son opulence, et à ses yeux la France a cet avantage moral, d’être un pays de pauvreté. Au milieu de tant de propositions contradictoires, bizarres, que croire, que penser ? M. Michelet, qui s’attache à nous prouver aujourd’hui, par de longues histoires de famille, qu’il est peuple plus que personne, ne sait pas instruire le peuple, il ignore comment il faut lui parler. En dépit de ses prétentions, il appartient toujours à la classe de ces malheureux bourgeois lettrés pour lesquels il a tant de dédain, et il en est d’autant plus, de cette bourgeoisie, qu’il y a souvent plus d’étrangeté et de recherche dans la distinction de son talent littéraire. Il est un homme qui, en 1732, commença à publier un almanach qu’il destinait au peuple ; il continua cet almanach pendant vingt-cinq ans, et il en vendait annuellement dix mille exemplaires. Le même homme eut l’idée de réunir tous les proverbes qui contiennent, comme on sait, la sagesse des nations, et il en composa un discours