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briques, dont la circonférence est d’à peu près une lieue, et d’un fossé qu’on peut remplir avec les eaux du Ravy. On y entre par dix portes, chacune munie d’un ouvrage extérieur demi-circulaire, capable de résister à un coup de main, mais nullement de nature à soutenir un siège régulier.

La population, d’environ quatre-vingt mille ames, est entassée dans des habitations très hautes et dans des rues étroites, sales et puantes, à cause d’un égout qui passe au milieu. La moitié au moins de ces habitations ne mérite guère le nom de maisons : ce sont des huttes de boue de forme cubique, souvent avec un cube plus petit élevé sur l’un des angles du toit qui est toujours une terrasse de terre battue. Dans les bazars, les boutiques des riches marchands sont un peu mieux construites, les matériaux en sont un peu meilleurs ; toutefois rien n’est ajusté d’équerre, et les murailles sont lézardées d’une manière effrayante, avant même que le toit soit posé dessus. La promenade d’un éléphant à travers les rues, à moins qu’il ne soit très docile, suffit pour faire reculer plus d’un mur et pour déterminer la chute des maisons en apparence les plus solides. Celles qui ont trois ou quatre étages ont leurs façades généralement blanchies et couvertes de peintures mythologiques très grossières. Au-dessus de tout cela, la vaste mosquée royale bâtie par Aurengzeb élève encore dans les airs ses quatre minarets ; mais le corps du bâtiment a été converti en un magasin à poudre. C’est probablement cette destination nouvelle qui l’a sauvé du marteau des démolisseurs, car, ici et à Amritsir, l’exercice extérieur du culte musulman est interdit. La religion de Baba-Nanek n’y admet point de rivales.

Des religions, des peuples divers, ont leurs représentans dans la foule qui remplit ces étroits couloirs encaissés entre de hautes murailles. Les musulmans et les Hindous y sont pour le moins aussi communs que les Sikhs. Le Cachemirien et l’Afghan se reconnaissent à leur bonnet de peau d’agneau et à leurs longues manches ouvertes et pendantes. Le sauvage akhali, qui est proprement le fakir de la religion sikhe, et dont la discipline est d’être toujours vêtu de bleu et toujours armé, passe comme un mauvais esprit en jetant autour de lui des regards sinistres. Monté sur une rosse, le front ceint d’un cercle d’acier poli, le fusil à la main, la mèche pendante allumée, il cherche une proie, quelque banquier ou quelque riche seigneur qu’il puisse rançonner, ou qu’il poursuivra d’injures s’il n’en peut rien obtenir. Entre ces groupes, au milieu de ces figures sauvages, un nombre infini de taureaux, mis en liberté par la piété des Sikhs et des Hindous, des ânes, des mulets, des tattous cherchant leur nourriture parmi les immondices de la ville : voilà le spectacle, la confusion et les obstacles qu’offrent à chaque heure du jour les rues de Lahore.

Sur la rive orientale du Ravy s’élève un château royal où résidaient