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Quant à des munitions, je ne vous en donnerai pas, parce que le premier usage que vous en feriez serait d’aller à Firozepore pour piller et vous y faire battre, et puis pour nous attirer les Anglais sur les bras. Si vous êtes fatigués de moi, reprenez le pouvoir, je n’y tiens pas. Donnez-moi seulement un jaghir (une pension) pour moi et pour mon fils, et laissez-nous partir en paix.

Les bataillons irrésolus se retirèrent cette fois, mais pour revenir souvent à la charge, et réitérer toujours plus vivement leur demande. Le Punchayet, de son côté, ne voyait point les préparatifs de plus en plus hostiles qui se faisaient de l’autre côté du Sutledge sans une vive jalousie et sans être fortement tenté de se donner les avantages d’une surprise. Toutefois telle était sa répugnance à engager les hostilités, que sir Henry Hardinge et le major Broadfoot lui-même, qui observait de plus près les événemens, ne crurent point, jusqu’au dernier moment, qu’il se déciderait à prendre l’initiative. Le gouverneur-général était même assez embarrassé d’une telle situation, car il n’aurait pu, si l’Angleterre était forcée d’agir la première, rejeter tous les torts du côté des Sikhs. Dans sa dépêche du 24 octobre dernier, sir Henry Hardinge déclare encore à la cour des directeurs que c’est toujours son opinion qu’il n’y aura point d’hostilités entre lui et le Khalsa dans le cours de l’année 1845. Il n’en continuait pas moins à rassembler une armée formidable, que l’on croyait généralement hors de proportion avec les difficultés qu’elle pouvait avoir à surmonter. Le major Broadfoot s’était complètement trompé sur le chiffre de l’armée sikhe, éparpillée aux environs de Lahore. Il l’estimait à quinze mille hommes tout au plus. Il n’avait rien vu de son artillerie, et la croyait fort médiocre. Enfin il méprisait souverainement son infanterie et sa cavalerie tant régulière qu’irrégulière, qualifiant l’une et l’autre, sans distinction d’armes, de rabble, c’est-à-dire de racaille. Il y avait dans cette appréciation autant d’erreurs que de préjugés.

En effet, outre les hommes présens dans les cadres, dont le major n’avait vu qu’une partie, il y en avait vingt-quatre mille en congé temporaire. Le Punchayet tenait caché à Amritsir un superbe parc d’artillerie. Enfin les Sikhs étaient tellement braves, que Rundjet-Sing, qui les connaissait, se gardait bien de laisser jamais des cartouches à ses soldats hors les jours de bataille ou d’exercice, et qu’il leur retirait même la pierre de leurs fusils. « On n’entendrait sans cela, disait-il, qu’une fusillade continuelle d’hommes ou de corps se battant les uns contre les autres. » Il comparait ses soldats à ces léopards chasseurs qu’on mène à la chasse dans une cage de fer, et qu’on ne lâche qu’en présence du gibier.

Ce fut seulement le 18 novembre que le major Broadfoot commença