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mot tayeb veut dire tour à tour : Très bien, ou voilà qui va bien, ou cela est parfait, ou à votre service ; le ton et surtout le geste y ajoutent des nuances infinies. — Le moyen me paraissait beaucoup plus sûr que celui dont parle un voyageur célèbre, Belzoni, je crois. Il était entré dans une mosquée, déguisé admirablement et répétant tous les gestes qu’il voyait faire à ses voisins ; mais, comme il ne pouvait répondre à une question qu’on lui adressait, son drogman dit aux curieux : « Il ne comprend pas, c’est un Turc anglais ! »

Nous étions entrés par une porte ornée de fleurs et de feuillages dans une fort belle cour tout illuminée de lanternes de couleur. Les moucharabys découpaient leur frêle menuiserie sur le fond orange des appartemens éclairés et pleins de monde. Il fallut s’arrêter et prendre place sous les galeries intérieures. Les femmes seules montaient dans la maison, où elles quittaient leurs voiles, et l’on n’apercevait plus que la forme vague, les couleurs et le rayonnement de leurs costumes et de leurs bijoux, à travers les treillis de bois tourné.

Pendant que les dames se voyaient reçues et fêtées à l’intérieur par la nouvelle épouse et par les femmes des deux familles, le mari était descendu de son âne ; vêtu d’un habit rouge et or, il recevait les complimens des hommes et les invitait à prendre place aux tables basses dressées en grand nombre dans les salles du rez-de-chaussée et chargées de plats disposés en pyramides. Il suffisait de se croiser les jambes à terre, de tirer à soi une assiette ou une tasse et de manger proprement avec ses doigts. Chacun du reste était le bienvenu. Je n’osai me risquer à prendre part au festin dans la crainte de manquer d’usage. D’ailleurs, la partie la plus brillante de la fête se passait dans la cour, où les danses se démenaient à grand bruit. Une troupe de danseurs nubiens exécutait des pas étranges autour d’un vaste cercle formé par les assistans ; ils allaient et venaient guidés par une femme voilée et vêtue d’un manteau à larges raies, qui, tenant à la main un sabre recourbé, semblait tour à tour menacer les danseurs et les fuir. Pendant ce temps, les oualems ou almées accompagnaient la danse de leurs chants en frappant avec les doigts sur des tambours de terre cuite (tarabouka) qu’un de leurs bras tenait suspendus à la hauteur de l’oreille. L’orchestre, composé d’une foule d’instrumens bizarres, ne manquait pas de faire sa partie dans cet ensemble, et les assistans s’y joignaient en outre en battant la mesure avec les mains. Dans les intervalles des danses, on faisait circuler des rafraîchissemens, parmi lesquels il y en eut un que je n’avais pas prévu. Des esclaves noires, tenant en main de petits flacons d’argent, les secouaient çà et là sur la foule. C’était de l’eau parfumée, dont je ne reconnus la suave odeur de rose qu’en sentant ruisseler sur mes joues et sur ma barbe les gouttes lancées au hasard.

Cependant un des personnages les plus apparens de la noce s’était