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préjugés : elle ne réalisa pas à la rigueur les idées du théoricien. On garda une juste limite en conservant de la charité légale ce qui est indispensable au soulagement de l’infortune, sans fournir un excitant à la pullulation des pauvres. La taxe fut considérablement allégée, sans accroissement apparent de la misère publique. La pensée de Malthus domina cette réforme, et la majorité du pays lui sut gré du résultat. La même influence ne se fit pas sentir en Angleterre seulement. Une vive critique des établissemens de bienfaisance, et surtout des hospices d’enfans trouvés, retentit dans tous les états européens, et, parmi les administrateurs, il y a tendance presque générale aujourd’hui à modifier les vieilles traditions de la charité catholique.

On conçoit maintenant l’autorité de Malthus parmi ceux qui ont charge de gouverner les peuples, et la répulsion instinctive qu’il a causée dans la foule. Il y eut un moment où la crainte d’une population surabondante troubla beaucoup d’esprits. De graves économistes demandèrent qu’on avisât aux moyens de réduire le nombre des mariages. Des mesures en ce sens furent prises dans diverses parties de l’Allemagne, comme s’il suffisait de mettre obstacle à l’union légitime des pauvres pour empêcher leurs rapprochemens. Il y avait plus de logique chez ce digne conseiller saxon, du nom de Weinhold, qui, dans un gros livre publié à Halle en 1827, proposa un remède de nature à donner à la société d’excellens chanteurs plutôt que de bons citoyens. Un autre système, qui peut-être n’est qu’une réfutation ironique de celui de Malthus, a fait du bruit en Angleterre il y a six ans seulement. L’auteur, déguisé sous le nom de Marcus, proposait l’asphyxie sans douleur, c’est-à-dire la faculté, accordée aux parens qui croiraient avoir déjà assez d’enfans, d’étouffer les autres dans une boîte au moyen du gaz carbonique.

Plaçons-nous à notre tour en présence de ce redoutable problème de la population, en nous gardant, s’il est possible, du vertige auquel on s’expose quand le regard plonge au fond d’un abîme. Essayons de démêler, avec l’impartialité scientifique, ce qu’il y a de vrai, ce qu’il y a de suspect dans les principes du philosophe anglais.

L’originalité de Malthus ne réside pas dans cet axiome, que la population a pour limites la quantité de nourriture disponible. Ce fait, que le simple bon sens laisse entrevoir, avait déjà été énoncé par Quesnay, Montesquieu, Franklin, et plusieurs autres économistes moins connus. Mirabeau père en avait même tiré une conséquence bien supérieure aux préjugés de son temps, puisqu’elle répondait au principal grief opposé par les philosophes aux ordres monastiques. « Les célibataires, disait l’ami des hommes, accroissent la population d’un état loin de lui nuire, si à la contrainte du célibat est jointe quelque autre sorte d’institution qui les oblige à vivre de peu et à ne point faire de consommations in-