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quand ils entendirent qu’on leur offrait comme des vérités jusqu’alors inconnues les doctrines de l’unité divine, de l’immortalité de l’ame et de l’égalité des hommes entre eux. Ils commencèrent par mépriser ces prétentions, qui leur paraissaient folles ; plus tard, ils reconnurent qu’elles étaient pour eux plus menaçantes qu’ils ne l’avaient pensé. Les chrétiens étaient violens ; les philosophes répondirent par le sarcasme et le mépris. De l’école d’Épicure sortit un écrivain ingénieux qui s’arma contre les doctrines chrétiennes d’une raillerie redoutable ; les miracles, les mystères, les dogmes nouveaux, ne furent pas épargnés. Celse exerça contre l’hébraïsme toutes les représailles que put lui fournir l’esprit grec. La polémique de Celse eut un long retentissement, puisqu’un siècle après Origène crut nécessaire d’y répondre. Encore un siècle après, les mêmes questions débattues entre Celse et Origène furent reprises entre l’empereur Julien et saint Cyrille ; mais alors tout était bien changé. On n’était plus dans les premiers momens de cette grande lutte ; on touchait presque au dénouement. Les représentans du génie grec n’avaient plus cet enjouement épicurien qui avait inspiré Celse dans ses mordantes critiques ; ils étaient alors graves jusqu’à la tristesse, tant à cause de la profondeur de leurs convictions qu’en raison des malheurs qu’ils enduraient. Peu d’hommes furent aussi sincères que l’empereur Julien dans leurs actes et leurs écrits. Il avait l’intelligence trop pénétrante pour ne pas comprendre dans quels périls il s’engageait en essayant de rendre l’empire à une religion, à une philosophie que Constantin avait proscrites ; mais il était animé d’un amour ardent pour la civilisation de Phidias et de Platon, et il lui était impossible de comprendre que les affaires et les idées humaines pussent se conduire et se développer sous d’autres inspirations que celles de l’esprit grec. Un historien de l’église, Théodoret, a mis un mot dramatique dans la bouche de Julien mourant sous la flèche d’un Perse : Galiléen, tu as vaincu ! se serait écrié Julien. Dite ou inventée, cette parole résumait l’état des affaires : le Galiléen avait vaincu. Quelles marques de son passage, de sa puissance, Julien pouvait-il laisser en mourant à trente-deux ans, après un règne qui avait duré vingt mois à peine ? Constantin, qui mit la religion chrétienne sur le trône, avait régné trente et un ans : il avait eu plus d’un quart de siècle pour mûrir ses desseins et les mener jusqu’au bout ; Julien n’a fait qu’essayer la pourpre. Il y a des momens dans l’histoire où tout, pour les vieilles causes, devient disgrace et revers. Dans ses écrits, Julien nous a donné d’irrécusables témoignages de son adoration pour le génie grec : il élève Platon au-dessus de Moïse ; il préfère Phocylide et Théogène à Salomon. Il demande ironiquement aux chrétiens pourquoi ils étudient dans les écoles des Grecs, si leurs Écritures, qu’ils appellent divines, leur suffisent.