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forme sociale praticable et possible ; lorsque tous les intérêts sont liés à son existence, depuis les intérêts du crédit public jusqu’à ceux de la propriété territoriale, il n’y a guère lieu de redouter le triomphe des factions et les surprises de l’émeute. Pense-t-on que le parti légitimiste, par exemple, soit fort tenté, pour la pure satisfaction d’un principe représenté par un prince sans postérité, de jouer la sécurité dont il profite autant qu’aucun autre, et voit-on dans ses rangs beaucoup d’hommes disposés à recommencer, dans les broussailles de la Vendée, la campagne de 1832, terminée au château de Blaye de la manière que chacun sait ? Si ses représentans dans les chambres refusent de s’unir à leurs collègues lors d’une protestation éclatante contre l’assassinat, ils n’éprouvent pas pour entrer à la Bourse les mêmes répugnances que pour entrer aux Tuileries, et les concessionnaires de chemins de fer les trouvent bien moins intraitables que la dynastie d’Orléans. Si donc l’on n’était déjà pleinement rassuré par l’anéantissement politique de ce parti, on pourrait l’être par le souci qu’il garde de ses intérêts domestiques. Il n’a désormais ni la force, ni le dévouement nécessaire pour les compromettre, et aucun péril n’est à redouter de ce côté. Dans les jours qui suivront le malheur public que nous détournons de tous nos vœux, le pouvoir, en quelque main qu’il se trouve alors placé, aura, pour maintenir le règne de l’ordre et des lois, une force surabondante, et rien n’est moins sérieux que les alarmes qu’on se complaît parfois à répandre sur les périls d’une transition qui n’offrira pas même une difficulté, du moins dans les jours qui la suivront immédiatement.

Une personnalité aussi éminente que celle du souverain qui porte aujourd’hui la couronne ne disparaît pas sans doute sans qu’un vide immense se fasse dans la région du gouvernement, et, si les obstacles matériels sont nuls, les embarras politiques pourront être grands. Nous confessons même sans hésiter que ces embarras pourront à la longue devenir des dangers, et peut-être préparer de mauvais j ours. Lorsque, par l’ascendant d’une valeur incontestable, combinée avec l’abaissement presque général des caractères, on a conquis dans les affaires une place prépondérante, et que l’équilibre des pouvoirs se trouve sensiblement altéré ; lorsqu’au lieu de trois pouvoirs distincts, il n’y a plus guère qu’une puissance effective et dirigeante, il faut s’attendre à de graves complications dans la sphère parlementaire, et redouter que l’avenir n’acquitte en partie les frais de la tranquillité du présent. Nier ceci serait s’insurger contre l’évidence ; ne pas le dire, lorsque tout le monde le voit, serait une lâcheté plus encore qu’une flatterie. L’histoire seule sera en mesure de décider si les éclatans services rendus à la paix du monde durant la première période de l’établissement d’une dynastie offrent une compensation suffisante aux difficultés préparées à l’avenir par une intervention active et dominante ; elle seule pourra faire la balance des périls et des avantages sortis d’une politique dont les conséquences lointaines peuvent être très diversement appréciées.

Quoi qu’il en soit, ce qu’il y a de plus imprudent, c’est assurément d’engager, à l’occasion d’un attentat odieux, une polémique dont le moindre inconvénient est de diviser à l’avance les forces auxquelles il sera nécessaire d’en appeler au jour de difficultés que chacun prévoit. La marche à suivre par le parti conservateur semblait tracée par son intérêt même. Il aurait dû se féliciter