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de Paredes. On ne doute pas que tous ne votent en faveur de la royauté, autant pour se conformer aux volontés du dictateur que pour tenter un dernier moyen de mettre un terme à l’anarchie et d’arracher le pays aux désastreuses rivalités de ceux qu’on appelle à juste titre mandarinos et soldadones (mandarins, soldats grossiers).

Tels sont les fruits des dangereux précédens établis depuis vingt-cinq ans par Santa-Anna, Valencia, Bustamente, Paredes, et les autres généraux de la république ; il n’y a plus de gouvernement possible dans ce pays. A peine un homme est-il au pouvoir qu’une révolution le renverse, en appelant un autre ambitieux à lui succéder. Les généraux ont eux-mêmes détruit dans le peuple et dans l’armée tout esprit de subordination et de discipline ; les plus simples notions d’ordre et de probité civique n’existent plus. Il n’y a si mince sous-lieutenant qui ne tienne à honneur d’attirer sur lui les regards et les grades par un petit pronunciamiento, et chacun des chefs de corps se croit plus digne de diriger les destinées de l’état que celui qui gouverne. Dans cette confusion des devoirs et des droits, tout dépérit, tout succombe ; la loi est un fantôme impuissant, et l’autorité la plus ferme, la plus légitime, n’est pas sûre de son lendemain. Paredes, n’espérant pas pouvoir conserver le gouvernement, ne veut pas du moins le céder à un compatriote, et il a résolu de le remettre aux mains d’un prince étranger, de se faire, en un mot, le soutien, le connétable d’une monarchie mexicaine.

Les sentimens de rivalité qui animent Paredes à l’égard de son collègue animent Santa-Anna à l’égard de Paredes. Santa-Anna, qui suit de l’île de Cuba, où il s’est réfugié depuis sa chute, tous les mouvemens qui agitent le Mexique, n’a pas plutôt vu poindre le soulèvement de Paredes, qu’il s’est efforcé de confisquer à son profit les bénéfices d’une idée à laquelle il avait été initié il y a trois ans. Nous avons vu un récent manifeste de lui ; le souverain détrôné, le général proscrit, l’homme enfin qui n’a plus au Mexique ni considération, ni popularité, ni prestige, s’adresse aux trois cours de France, d’Espagne et d’Angleterre. Dans ce manifeste, après avoir fait avec une effronterie sans égale la peinture des maux qu’il a causés en grande partie, il offre d’user d’une influence qu’il n’a plus, et de se mettre à la tête d’une armée expéditionnaire pour aller implanter de force la monarchie sur le sol du Mexique. Quand on se rappelle qu’il y a quelques mois à peine, il affectait à Mexico les allures d’un souverain, et préparait en secret son couronnement, on est saisi à la fois de mépris et de pitié pour les intrigues de cet homme, qui met aujourd’hui au service d’une dynastie étrangère toutes les rancunes d’une ambition déçue.

Sur ce simple fait, on a établi les bases d’une alliance présumée entre le dictateur nouveau et le dictateur ancien. Nous savons en effet que Santa-Anna a fait des ouvertures à Paredes ; mais que Paredes ait accueilli favorablement ces ouvertures, voilà ce qu’il est permis encore de ne pas croire. Il est au courant de la tactique de son ennemi ; il sait que Santa-Anna entre aujourd’hui dans les vues d’un rival pour le supplanter et le perdre demain. Il faudrait connaître bien peu le pays et les hommes pour croire qu’une alliance sincère est possible entre ces deux généraux. Santa-Anna a beau s’humilier, offrir et demander le pardon de torts réciproques, protester pour sa part d’un oubli complet du passé