Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dire que cette population s’est grossie par l’affluence des étrangers. On affirmait, il y a trente ans, que les nouveaux venus n’avaient jamais dépassé 5,000 par année, et que ce nombre restait inférieur peut-être à celui des Américains qui quittent annuellement leur patrie. L’émigration est devenue plus active par la suite. L’Angleterre seule a envoyé, en 1832, environ 57,000 ames. En supposant que ce mouvement se fût continué, il n’eût pas exercé une influence décisive sur l’accroissement de la nation américaine.

Si un gouvernement entreprenait d’exporter sur une grande échelle l’excédant de sa population, il se ruinerait en frais de transport et en avances à faire aux colons jusqu’au jour d’une récolte suffisante. L’émigration ne peut contribuer au soulagement d’un pays que d’une manière indirecte : ce n’est pas en enlevant le superflu de la population, mais en créant à l’extérieur des consommateurs qui occupent l’industrie de la métropole, et lui offrent en retour les richesses d’une terre nouvelle.

Les calamités qui dévorent les hommes, la peste, la famine, la guerre, ne dérangent pas pour long-temps le niveau habituel d’une population. Une guerre de déprédation, qui ruine les moyens de subsistance, comme les razzias que nos soldats font en Afrique, peut anéantir une race ; mais, quand la somme des alimens n’a pas été amoindrie, il en résulte pour les survivans une abondance momentanée qui semble provoquer une fécondité exceptionnelle. Il est même à remarquer que les nations où la vie humaine est le plus prodiguée, celles où la guerre est un état permanent et un moyen d’existence, sont ordinairement très nombreuses. Les anciens s’étonnaient de l’immense quantité de guerriers que les Scythes, les Germains, les Scandinaves, sacrifiaient sur les champs de bataille. Les contrées où campaient ces peuples leur apparaissaient comme d’immenses fabriques d’êtres humains, officinæ gentium. Il est probable que les législateurs religieux de ces barbares avaient considéré la guerre comme un remède au développement excessif des populations, tandis que la nécessité de remplacer sans cesse les guerriers détruits devenait au contraire une incitation continuelle au mariage. Aucun frein n’était opposé à la passion, aucune limite à la fécondité. Si cette marchandise parfois si précieuse et si souvent avilie qu’on appelle l’homme était sans cesse demandée, la production en dépassait toujours la consommation, quelque effroyable qu’elle fût. Il y a une triste vérité au fond de cette cynique exclamation du grand Condé après la glorieuse boucherie de Sénef : « Une nuit de Paris réparera cela. »

Une famine causée par une succession d’années mauvaises est ordinairement suivie par une période fertile. On a remarqué également qu’après une épidémie arrive presque toujours une époque de grande salubrité. Les constitutions débiles sont enlevées : il y a plus d’aisance