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même, la nouvelle conquête que Charlemagne en fait en Espagne, la soumission de la Septimanie, les guerres contre les Lombards et les Grecs de la basse Italie transformés en Sarrasins. La seconde classe est composée à la louange des grands chefs qui ont combattu pour l’empereur contre les Arabes d’Espagne, ou qui ont tourné contre lui et contre son empire la puissance développée par cette lutte. Elle contient la branche de Guillaume-le-Pieux, divisée elle-même en quinze branches subsidiaires qui racontent les exploits de ce chef et de ses descendans contre les Andalousiens ; la branche d’Aïol, partagée aussi en trois romans, où sont exposés les exploits de Jullien de Saint-Gilles, la révolte de son fils Elie, comte de Toulouse, contre Louis-le-Débonnaire, la réconciliation qu’Aïol, fils du comte, ménage entre lui et l’empire ; la branche de Gérard de Vienne ou de Roussillon, révolté contre Charles-le-Chauve ; celle de Gaydon, duc d’Angers, insurgé contre Charlemagne ; celle enfin des quatre fils Aymon, où paraît Renaud de Montauban, type le plus saillant que le moyen-âge ait donné du vassal rebelle à son suzerain. M. Fauriel insiste avec raison sur la dernière classe, et il trouve tous les esprits disposés à le croire, lorsqu’il fait pressentir qu’elle s’est formée dans les donjons des descendans de tous ces grands révoltés du midi, dont elle glorifie, dont elle invente même quelquefois l’insubordination.

Il essaie ensuite de caractériser ces romans carlovingiens qu’il vient de classer. On y reconnaît, suivant lui, l’idéal de l’héroïsme barbare et libre de la féodalité, devant laquelle la grande figure de Charlemagne semble abaissée à dessein Par son indépendance, par sa bravoure, par son esprit religieux, le chevalier du cycle carlovingien est l’image du chevalier du XIIe siècle ; par le reste des mœurs, par les passions rudes, emportées, il échappe aux habitudes déjà raffinées, aux idées délicates et subtiles du même siècle, il trahit une époque antérieure plus grossière ou plus simple, il s’adresse à des imaginations moins exigeantes, plus incultes. Il appartient en effet à un âge plus ancien et moins civilisé que celui des troubadours ; il est le héros du peuple qui perpétue les vieux récits et les mâles vertus. Aussi les poèmes qu’il remplit de ses exploits et de ses révoltes sont-ils donnés par leurs auteurs, non point comme des fictions arrangées pour plaire à des esprits polis et difficiles, mais comme des narrations véridiques, fondées sur des témoignages certains, expressément indiqués dès le début. Ils se composent de vers de douze ou de dix pieds, que l’hémistiche agrandit, et qui procèdent par longs couplets monorimes. Ces couplets, semblables à la cassidet des Arabes, sont chantés sur une musique simple, avec un accompagnement peu marqué du violon à trois cordes, qui emprunte sa forme et le nom de rebec au rebab sarrasin. Les romans où ils sont assemblés présentent l’un après l’autre jusqu’à quatre variations du même couplet ou de la même tirade monorime, preuve certaine que ces chants séparés ont précédé les poèmes, et que ceux-ci sont l’œuvre de compilateurs soigneux de conserver et de rapprocher toutes les versions et toutes les suites du même récit. Ainsi, comme chez les Grecs, aux aoides ont succédé les diascevastes ; à ceux-ci seulement a manqué un Homère pour les effacer en les couronnant.

Les romans de la Table-Ronde offrent à l’étude un sujet plus compliqué, car, s’il est certain que les fictions même invraisemblables du cycle de Charlemagne ont à peu près toutes quelque base secrète dans l’histoire, il n’est pas évident que les fables du cycle d’Arthur soient de même fondées sur quelque réalité.