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considérer comme le premier et l’un des plus utiles essais de l’histoire comparée des lettres modernes.

A peine ces deux beaux esprits avaient-ils ouvert la carrière qu’on vit s’y précipiter un Français, qui avait commencé ses études assez tard, à vingt ans, qui cependant, à vingt-six ans, était déjà entré à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres avec des provisions amassées un peu à la hâte, qui alors avait employé dix ans à lire les historiens et les chroniqueurs de la troisième race de nos rois, et qui enfin en était venu à chercher dans les romans et dans la poésie le complément nécessaire de l’histoire de nos origines. C’était ce bon Lacurne de Sainte-Palaye, que les lettres du président des Brosses, son compagnon de route, nous représentent, quelquefois assez plaisamment, fouillant les bibliothèques de l’Italie pour y trouver les manuscrits de nos chansons provençales. Ce ne fut pourtant pas dans ce premier voyage, accompli en 1739, qu’il forma ses collections volumineuses ; il revint, roulant dans sa tête, peut-être pour se venger des railleries de des Brosses, cinq mémoires qu’il lut successivement à l’Académie, et où il employa une érudition à la fois vaste et un peu superficielle à décrire la chevalerie et à la défendre contre l’esprit positif du XVIIIe siècle. Bientôt, possesseur d’un manuscrit qui contenait cent cinquante-sept pièces des troubadours, il ne se contenta point d’y ajouter la copie des poésies provençales conservées dans les principaux cabinets de Paris et à la Bibliothèque du roi ; il repartit en 1749 pour l’Italie, avec le dessein de faire dépouiller tous les manuscrits provençaux qu’il avait vus, à Rome, dans la bibliothèque du Vatican et chez quelques grandes familles ; à Florence, chez les Riccardi et dans la Laurentienne ; à Milan, dans l’Ambroisienne ; à Vérone, dans la Saïbante ; à Modène, dans la bibliothèque d’Este. De ces copies ou de ces extraits, il forma huit volumes in-folio, contenant la matière de vingt-quatre manuscrits consultés et comparés par lui. Sur ce premier travail, il en entreprit un second, qui composa cinq nouveaux volumes in-folio, où il mêla des versions, des remarques, et tout ce qu’il put se procurer de documens sur les vies des troubadours. Comme s’il pressentait déjà les études de notre temps, à la copie des chansons il eut la curiosité de joindre aussi celle des romans méridionaux. Dans de nouveaux volumes demeurés, inaccessibles à M. Fauriel aussi bien que les précédens, il transcrivit, entre autres ouvrages épiques, le poème provençal de Gérard de Roussillon, suivi d’une vieille traduction en vers français, et, ce que l’historien de la poésie provençale aurait appris avec plus de surprise encore, la fameuse chronique en vers de la guerre des Albigeois, accompagnée de notes sans nombre et de tables qui auraient pu être très utiles à l’éditeur. Cependant M. de Sainte-Palaye n’était pas homme à faire produire à tant d’élémens réunis le fruit qu’un esprit méditatif aurait pu en recueillir. Né avec les goûts du compilateur, tout ce qu’il entreprenait tournait au dictionnaire. De la lecture des poètes provençaux, il tira un Glossaire en dix volumes in-folio ; de celle des prosateurs, encore un Glossaire de quatre volumes, sans compter les autres in-folio consacrés aux noms de lieux, aux noms de personnes qu’on rencontre dans les troubadours. Il avait commencé sur la France du nord le même travail qui eut le même résultat : un Glossaire en trente et un volumes in-folio, que Bréquigny reçut incomplet et termina. De toutes ces études de philologie, M. de Sainte-Palaye essayait pourtant, sur la fin de sa vie, de retourner à l’histoire