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dans le codex 7182, ce même Casassagia, qui semble être quelque pauvre abbé sollicitant un bénéfice de la générosité d’un monsignor, reparaître avec ses traductions ; cette fois, il les donne sous la ligne même des chansons provençales qu’il copie textuellement. Comme pour nous laisser penser qu’il y avait encore alors en circulation beaucoup de chansons perdues depuis ce temps, il commence par une pièce d’un troubadour dont je n’ai retrouvé le nom nulle part, et qu’il appelle Aassangut de Goisel ; il arrive ensuite à Arnaud Daniel, et il en donne trois chansons, dont la seconde est un modèle de grace ingénieuse et d’harmonie exquise. On la retrouve également dans la plupart des autres manuscrits provençaux, avec des variantes, où il serait trop long de s’engager. En voici les deux premiers vers, pleins d’un charme mélodieux et piquant :

Dous braills, e crits, e sons, et chahs, e noutas
Aug dels auzels quen lur latin fan precs.


Ce début propre, à ce qu’il semble, à toucher un érudit, avait fait une vive impression au moyen-âge. L’auteur anonyme du plus long fragment que nous ayons conservé du Perceval français, probablement Chrétien de Troyes, l’avait imité presque littéralement au commencement de son poème :

Ce fu au tans que arbres florissent,
Fuelles, boscages, près verdissent,
Et els oisels en for latin
Dolcement chantent au matin.


Voilà, avec le sujet d’une réparation à faire à la mémoire d’un troubadour célèbre, une preuve sensible de l’influence exercée par la poésie du midi de la France sur celle du nord. Il faut croire que M1. Raynouard a ignoré la gracieuse chanson d’Arnaud Daniel, puisqu’il n’en a pas même donné un extrait.

C’est ainsi que le savant philologue a résumé les grands travaux de M. de Sainte-Palaye. Il a fait un choix trop incomplet et quelquefois peu judicieux des poésies que son devancier avait rassemblées. Mieux inspiré, il a cité dans le texte provençal, plein d’une grace vive, et non pas, comme son modèle, dans une traduction pâle et rebelle, les vies des troubadours qu’il a cependant encore trop raccourcies. Il a bien plus réduit le Glossaire, dont ceux qui ont eu occasion d’y recourir peuvent dire quelle est l’insuffisance. Il semble, il est vrai, s’être plus particulièrement appliqué à la grammaire, que M. de Sainte-Palaye n’avait pas abordée ; mais il a encore eu des guides, aujourd’hui connus, dans cette carrière, où il paraissait avoir fourni les résultats les plus originaux. Lorsque, s’arrêtant à la formation des mots, il a dressé le tableau comparé des modifications diverses apportées au même radical par les différentes langues modernes, il suivait, sans trop le dire, la pensée et les traces même de Bastero. Lorsque, considérant la construction des mots, il a cherché à ramener à des règles fixes leurs flexions, que long temps on avait cru abandonnées aux caprices sans ordre de la barbarie, il copiait encore, sans l’avouer, d’anciennes grammaires provençales sur lesquelles il nous faudra revenir. Ni à ces monumens curieux, ni à l’œuvre du gentilhomme catalan, il ne savait emprunter les notions historiques et littéraires que le temps était pourtant venu de développer. Philologue exclusif, il se permit une seule fois d’exercer librement sa pensée sur tous ces documens